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LE  FAUVE  HUMAIN

(Roman)


JEAN-JACQUES  REY

RENNES
BRETAGNE
FRANCE


© Jean-Jacques Rey, 1997
Tous droits réservés pour tous pays





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- I -



1

    Il descend comme un fou, roule et boule, déjeté, rejeté entre les troncs, giflé par les branches basses, accroché par les épineux et les ronces. Il n’en voit pas le bout de ces halliers. Un sentiment de panique l’oppresse, dans une progression difficile, frénétique. Zarko ignore totalement sa position, même approximative. Il ne dispose d’aucun repère, carte ou boussole. D’ailleurs sa réflexion est inhibée. Dans cette fuite éperdue au flanc obscur de la montagne, une seule obsession l’anime : échapper à ses poursuivants, ne pas se laisser capturer et sauver sa peau. Zarko a faim, Zarko a soif et plus rien dans sa musette et son bidon. Une pince lui déchire la panse, il ouvre la bouche à la recherche d’air et salive en vain. Des gerbes d’étincelles éclatent sous ses paupières à demi-fermées. Quand il reprend souffle, il se cramponne à l’un de ces innombrables drageons. La pente est raide. Il maudit ce dédale arbustif, presque impénétrable, qui l’enferme. Il regrette la pleine lune et les étoiles qui guidaient et accompagnaient tout à l’heure son entreprise. Déjà il se sentait libre, trois jours auparavant, de pouvoir regarder le ciel en face, livré à lui-même, malgré la présence de ses trois compagnons. La vie est belle sans murs, sans barrières, sans ordres, sans cris, et puis, sans coups… Les horions qui tombaient de tout bord, sans raison apparente que la loi du plus fort, l’inimitié des gradés ; parce que c’est la routine et la mise au pas, la mise en condition et le conditionnement des caractères, le reniement de l’individu. C’était avant que le projecteur les débusquât, les saisît et les fouaillât. Les ronflements de moteur, les hurlements, les détonations résonnent encore à ses oreilles, tout comme le sifflement bref, presque anodin des projectiles, la grêle des impacts : sons mats dans la végétation, crépitants sur la rocaille.

Lui et ses trois compagnons n’avaient rien préparé, ils avaient décidé leur action sous le coup de la révolte et de l’indignation. Ils ignoraient tout de la région. Et maintenant leur évasion apparaît bien compromise. Ils s’étaient fait surprendre parce qu’ils suivaient la route comme des potaches candides :
- Halte-là ! Qui va là ? …
- Ta gueule ! Enfoiré !
Ils avaient détalé dans le sens opposé, le long de la route, ils s’étaient éclatés comme un vol de moineaux, poursuivi par un roquet :
- Stop ou je tire !
- Va donc ! Hé ! Facho !
- Rendez-vous, salopards ! Dernière sommation !
- Va-te faire foutre, charlot !
Dumonteil se retournait, il criait à perdre haleine, il s’exposait… Zarko avait entendu un coup de feu, un bruit de verre brisé et le projecteur s’était éteint. Les autres avaient riposté, il avait plu du plomb : un vrai champ de tir ! Instinctivement Zarko avait plongé par-dessus un parapet, roulé dans un ravin sans s’arrêter, et s’était retrouvé au bord d’un ruisseau. Il s’était relevé pratiquement indemne, juste des entailles et des éraflures partout. Alors, d’en haut, les autres avaient arrosé au hasard et il n’avait pas demandé son reste pour déguerpir. Il n’avait pas répondu et s’était balancé dans le cours d’eau, dérapant et zigzaguant entre les rochers. Depuis il a perdu tout contact avec ses compagnons et se demande quel sort leur réserve l’avenir.

Pour le moment, ballotté dans les méandres et les sauts de sa pensée, il sait que le sien d’avenir est menacé, grevé d’incertitudes. Il le joue à chaque minute, à chaque instant depuis trois jours et n’a plus aucun projet bien défini. Sa seule préoccupation est de rejoindre la mer. Il se guide sur le soleil et la polaire. Il espère se diriger dans la bonne direction mais doit s’accommoder du relief très accidenté, contourner les villages, éviter les routes ; autant de zones dangereuses où il sait que les autres placeront des « choufs » . Pendant ces trois jours de mise à l’épreuve anxiogène, de couverts en planques, de marches en détours, d’ascensions en descentes, de chutes en accrocs dans les broussailles, il n’a presque rien mangé, juste rempli son bidon deux ou trois fois au passage d’un cours d’eau. Sa tenue s’effiloche, il est sale, pas rasé et présente des apparences peu engageantes.

Zarko se cale contre une souche et sort l’avant-dernière cigarette de son paquet froissé. Il se remémore et rumine soudain le pourquoi de sa présence ici : « je suis un fuyard mais pas un couard, un connard mais pas un soudard. Je me veux humain respecté sinon libre et non chien d’esclave, couvert de chaînes. Je ne fuis pas une société toute particulière par lâcheté, je me défais de son aberration. Ils m’ont masqué la réalité, se sont moqué de moi, me traitent en irresponsable, nul contrat ne tient devant une telle perfidie ! » Il tire une autre bouffée, aspirant goulûment la fumée. De toute façon la nuit est bien avancée, il est exténué. Il regarde sa montre où les aiguilles phosphorescentes indiquent deux heures trente. La marche de nuit est plus discrète, moins aléatoire que la marche de jour, mais pénible et dangereuse. Il a beau se reposer la journée, il n’arrive guère à dormir. Il s’apprête à s’allonger et fait craquer du bois mort à ses pieds. Un chuintement tout proche le fait sursauter, il saisit son fusil. Il entend maintenant des cris aigus, qui lui font froid dans le dos, et des craquements dans la végétation environnante. « Maudit sort ! Ils m’ont retrouvé… » Il engage la baïonnette sous le canon du semi-automatique Mas 49-56, enlève le cran de sûreté et arme la culasse : « je vais défendre chèrement ma peau, bande d’esquinteurs ! » Il sait que les chasseurs sont implacables et n’entend pas demander grâce. Il s’accroupit et scrute les ténèbres, tous les sens en alerte, ses tempes lui font mal et son cœur bat tumulte. Il y a un drôle de remue-ménage quelque part devant lui, à quelques mètres. Il n’y tient plus : « marre de stationner ! Je n’ai fait que cela dans la journée. Je ne vais pas attendre qu’ils me tombent dessus, autant aller à l’abordage tout de suite ! » Et il fonce ! Il déboule trente mètres plus loin, dans une petite clairière, en ayant tout bousculé et piétiné sur son passage, prêt à tirer, prêt à crever, mais en homme libre !…Alors ses yeux s’arrondissent de surprise et il se détend imperceptiblement. Il se retrouve nez à nez avec une dame blanche : une chouette effraie qui le regarde de ses gros yeux lumineux et s’envole, abandonnant une proie qu’elle vient de harponner. Il s’approche, c’est un levraut qui gémit, les reins brisés sans doute, parce qu’il se traîne sur les deux pattes avant, dans un dernier effort désespéré. Alors Zarko, ému, l’achève d’un coup de baïonnette… Il aura son dîner cette nuit. Il n’avait encore jamais tué, mais là vraiment il a faim : « l’homme est une bête ! Il l’est encore plus quand il le méconnaît ! »

2

    Zarko se rappelle petit à petit, mais quel étrange signe du destin ! … Ce n’est pas la première fois qu’une chouette vient au bord de la route, mystérieuse et imprévue envoyée, pour lui dire : « debout ! » quand il se couche, rendu à l’extrême de ses forces morales ou physiques. Elle interpelle sa conscience ou agit en providence comme cette fois encore. Déjà sur la route de Tetovo, dans le Sar Planina, l’oiseau lui avait sauvé la vie. Elle l’avait réveillé dans le champ de neige où il s’était allongé, perclus de fatigue, après soixante kilomètres en bicyclette en pleine nuit, en plein mois de décembre et par moins dix degrés. Il allait mourir de froid, l’oiseau déchira une douce extase, le remit debout, et l’onglée fit le reste : que de larmes quand circule, la vie ! Il avait quinze ans et partait chercher du secours dans la famille, pour épargner à un père tyrannique de s’immoler par le feu. Les jerricans d’essence étaient déjà à la maison. La récompense obtenue fut une énorme raclée…Une autre fois, le destin avait carrément sacrifié la chouette pour sauver Zarko. Il était au volant de son camion comme un mort vivant, il n’avait plus conscience de rien. Son âme avait quitté depuis longtemps son contenant, meurtri et courbaturé, elle flottait libre, au-delà de la cabine. Il voulait dormir, il était fatigué… Il se rappelle la scène : au bas d’une longue rampe, le virage arrivait très vite, il y avait un gros mur blanc en face. Il eut encore un déclic d’automate, mais l’épaule resta immobile, sa tête était lourde et vide, à cent à l’heure, le camion fonçait tout droit. Soudain un fracas comme le tonnerre, le déflecteur vola en éclats, un courant d’air lui inonda la figure, quelque chose s’agitait sur ses genoux. Il eut une secousse, dans un rêve, les pieds appuyèrent sur les pédales, le bras poussa le levier de vitesse en avant, le moteur explosa en cascade de décibels, la caisse et les pneus gémirent, le camion oscilla, vira, un instant il se souleva, incertain comme une voile chatouillée par la brise, il était en suspens, puis à regret, lentement, le véhicule se stabilisa, il poursuivit sur le bitume qui s’étalait devant lui. Zarko avait repris son assise, il était de nouveau à plat sur le siège, les mains à plat sur le volant, à plat sur la route… Sur ses genoux, un être blanc s’agitait doucement. En ligne droite, le camion s’était mis à ronronner. Zarko regarda enfin le petit être à la poitrine blanche de neige, tas de plumes où brillaient deux lacs phosphorescents, étoiles de la nuit qui le découpaient en rondelles. Trop de questions affluaient dans ce regard d’agonie. D’une secousse, ses jambes s’écartèrent, le tas blanc et brun roux chut au fond, sans un son. La tête de l’oiseau, entre les pieds de Zarko, l’interpellait toujours, un peu plus bas, c’est tout ! La lueur faiblissait dans ses yeux, Zarko y vit la surprise et comme une sourde souffrance se répandre. Alors il arrêta le camion, là, à cheval sur un terre-plein, tout de suite, dans la nuit, avec ses warnings, et il se pencha pour ramasser la dame blanche qui se mourrait. Il la posa délicatement à côté de lui sur le siège, n’ayant plus peur de son coup de bec. Il avait honte et ses yeux se brouillaient, un vent léger entrait dans la cabine. Il aurait tant voulu que s’envolât, la chouette-effraie, et elle allait mourir, il le savait, il n’y pouvait rien car le monde des humains dormait, et la vie s’en va vite sans leurs médecins. Lui vivait et a survécu encore !

Zarko entend hululer dans cette nature sauvage, par-dessus le ronron de sa mémoire au ralenti. La Corse n’est pas pour lui une île d’amour, mais une île de souffrance, belle peut-être mais tourmentée, et lui s’enfonce dans la tourmente. Les années qui sont passées sur ces souvenirs et sur beaucoup d’autres choses, il les a oubliées, du moins le croyait-il, et pourtant ses racines descendent très profond dans le pot, jusqu’au jour où elles le feront péter.

Zarko a fait rôtir tant bien que mal son levraut, dessus un petit feu, en masquant les flammes. Il a bu le sang et mâché un peu de menthe sauvage. Un peu de son énergie retrouvée, il se décide à continuer la progression pour profiter au maximum de la nuit. Il marche maintenant à l’économie, prenant soin de poser doucement ses pieds à vif et suintants d’humeur sur un pierrier instable. Petit à petit, la végétation se fait plus tendre. Soudain il perçoit un doux murmure, une sensation de fraîcheur l’envahit déjà. Il entend de l’eau couler et son gosier, sec, déglutit de l’air, ses sens émoussés se ravivent. Après s’être désaltéré, il remplit son bidon, il s’accorde le luxe de tremper ses pieds en feu, dans l’eau froide de la source, et d’asseoir ses fesses nouées sur un peu de mousse. Ses pieds boursouflés et saignants lui imposent au début un supplice ; puis au bout de quelques minutes, la douleur s’estompe, une délicieuse sensation de bien-être s’installe. Pour la première fois depuis longtemps, Zarko a du baume au cœur. Tout est relatif ! Mais sur l’instant il n’y pense plus.

Suivant le filet d’eau qui descend de la source, Zarko arrive rapidement sous un pont : au-dessus, une route ! Route qui est tentante mais pour lui, synonyme de danger, et ce n’est qu’avec mille précautions qu’il gravit le talus, pour darder un regard méfiant sur le ruban de bitume qui mène peut-être aux enfers. Un coup d’œil sur les broussailles en contrebas le décide cependant à contrecœur. Un peu de marche facile lui fera du bien, il prend soin de marcher sur les bas-côtés quand ils s’avèrent praticables. Son fusil est armé et il se tient prêt à tirer sur le premier mouvement ou à se jeter au bas de la route. Est-il un gibier ou un fauve en maraude ? La vérité est qu’il craint tout le monde : les gendarmes, la police militaire et n’importe quel civil ! Chaque renseignement relatif à un déserteur est récompensé par une jolie prime. Dans ces conditions, les amis et les complicités sont rares, à moins qu’elles viennent de l’extérieur ou que vous ayez vous-même les moyens d’acheter les bonnes volontés. Zarko est seul maintenant, il ne compte plus que sur lui-même, le fusil et les quarante balles pour amadouer l’environnement. Pourtant il sait que la solitude amoindrit sérieusement les chances de réussir une évasion. Il aimerait bien, c’est une évidence, parler à quelqu’un en ce moment, ne serait-ce que pour confier ses inquiétudes, ses espérances ; mais il est esseulé, en marge des conventions, livré à lui-même dans un pays hostile. La liberté que l’être humain revendique, il doit savoir l’assumer. Traînant des pieds et tête basse, il éprouve de plus en plus à s’imposer une marche soutenue et silencieuse.

3

    C’est un point rouge en face, aussi visible qu’un feu clignotant dans une chambre noire qui l’a alerté. Il se trouve à l’entrée d’un virage en U et un torrent, au fond, passe sous un pont, à cinquante mètres sur la droite. L’eau se fraye en grondant un passage parmi les quartiers de roc. Elle lui a sans doute sauvé la mise, car la probabilité est grande que ce point rouge signale une cigarette et trahisse ainsi une présence qui n’est sans doute pas celle d’un promeneur au clair de lune…Corollaire néfaste, la visibilité est bien réelle, dans cette clarté diffuse. Sinon le côté droit de la route est une muraille, le côté gauche donne sur un talweg insondable. Il ne remarque aucune habitation aux environs. Si donc l’olibrius, responsable de la mise en place des postes de guet, avait songé à mettre ses bonshommes à l’avant du virage, Zarko se fût exposé à être saisi et ses chances, massacrées !

Au lieu de cela, le sort en décide autrement, il lui donne l’avantage d’avoir repéré le premier sans être vu, selon toute vraisemblance. Il reste à tirer profit de l’imprudence du guetteur. Cet ou ces hommes bloquent la route d’une façon telle qu’il pourrait envisager immédiatement une retraite prudente. En effet, vouloir pour les contourner, descendre la pente abrupte et s’offrir en prime la traversée du torrent, relève d’une acrobatie périlleuse. De plus s’y ajoute la nécessité d’une discrétion absolue, pas facile à obtenir dans les broussailles et les pierres roulantes. Reste une autre solution : passer en force et avaler l’os indigeste, mais il risque fort d’être localisé, au pire malmené et encore pire, définitivement rayé des cadres ! L’aube reviendra bientôt. À la pensée que ses efforts acharnés butent contre ce nouveau verrou, Zarko sent une folle colère s’emparer de lui. Il se passe bien dix minutes où mâchoires crispées, muscles noués, il projette de charger ses ennemis, séance tenante, en profitant de l’effet de surprise, avec une intention ferme de les écraser comme des punaises. Puis l’impulsivité fait place à la rage froide, il décide de passer à l’attaque avec un minimum d‘efficacité. Il étudie tant bien que mal la topographie des lieux, puis entreprend, en reculant sur cent mètres, d’escalader le côté droit de la route, plus accessible à cet endroit. Il monte à quatre pattes et s’accroche à tout ce qu’il trouve. Arrivé à mi-pente, une progression très lente et précise l’amène par un sous-bois en parallèle de la chaussée, à une vingtaine de mètres approximativement de la position des guetteurs. Guetteurs peu efficaces, puisque c’est eux, les guettés, dans l’affaire. Zarko, silencieux, écoute les mille bruits de la nuit. Il perçoit de temps à autre un raclement de soulier ou un froissement d’étoffe. Il ne saisit aucun son de conversation pendant ces longues minutes de contention, et, il en déduit que l’effectif du chouf est réduit, peut-être un seul homme éveillé : circonstance très favorable à une attaque surprise, visant dans son plan originel à user de la baïonnette, purement et simplement. Mais au cours de son avancée de sioux, il a eu le temps de convenir, au fond de lui-même, que l’adversaire du moment n’est sûrement qu’un pauvre bougre, exécutant des ordres, n’en saisissant les mobiles que partiellement et par le sommaire, désirant peu les mille inconvénients qu’un refus lui apporterait. Il allait donc se contenter d’assommer, sans trop de casse si possible.

Zarko se coule dans la végétation comme un serpent, il rampe, glisse avec délicatesse, il couvre peut-être cinq mètres à la minute. Il est tout prêt et son approche imperceptible. Il note et situe bien dès lors de menus bruits de respiration, des craquements, un son métallique. L’homme a un soupir, il se morfond ou pèse l’inconfort, allez savoir ! Zarko poursuit son manège. Malgré ses précautions diaboliques, il ne peut éviter ces frottements révélateurs pour toute personne avertie, du mouvement d’un corps. Les grillons se taisent. L’homme faiblit dans sa veille ou somnole-t-il ? Il n’entend point arriver Zarko dans son dos, il esquisse juste un retournement quand Zarko lui fond dessus. La crosse du fusil heurte la nuque et le béret s’envole, elle expédie promptement sa victime au banc de l’inconscience. Un deuxième larbin, emmitouflé dans son parka et allongé sur un poncho, a juste un sursaut, avant que d’un coup bien ajusté à la tempe, Zarko l’envoie rejoindre son camarade. Il effectue une rapide reconnaissance sur la route et dans les environs immédiats. Ne détectant aucune autre présence, il retourne à ses lascars qu’il ficelle soigneusement avec l’aide de leurs lacets, ceintures et ceinturons. Tout à son aise, il s’empare ensuite de leurs munitions, du pistolet-mitrailleur MAT 49 qu’un des zigues avait en dotation, de leurs boîtes de ration et bidon d’eau, d’une paire de jumelles, d’un parka et d’un poncho qu’il met dans un de leurs sacs. Il prend aussi, dans leurs poches, les cigarettes et briquets qu’il trouve, ainsi que le contenu en espèces de leur porte-feuille. Enfin, craignant pour leurs plaies à la tête, il a la bonté de mouiller des mouchoirs et de confectionner un bandeau en guise de pansement à chacun. Non à court d’idées, il monte, sitôt son nouveau bagage préparé, une mise en scène qu’il trouve burlesque, mais certainement peu apprécié de beaucoup : transportant sur son dos, ces pauvres chasseurs chassés, il les dépose à cent mètres de leur ancien poste de guet, dans les genévriers, près du torrent, et il ajoute une sourdine à leurs liens déjà existants, qu’il confectionne avec une lanière de sac en travers des lèvres. Enfin, sur l’emplacement délaissé, il laisse en pleine exposition un message tout à fait ordurier d’annonce de rapt, mis au compte de « l’Armée Révolutionnaire Corse » dont peu de monde ignore les ambitions, et il propulse le fusil restant dans le torrent. Riant tout seul de cette mascarade, il reprend la route avec une bonne humeur sans égale depuis longtemps…Malgré l’euphorie générée par ce petit succès, il est conscient de devoir parcourir la plus grande distance possible avant le jour ; soit deux heures environ de disponibles. Il court presque, emporté par le poids de son sac, se retournant sans cesse, dans la crainte d’apercevoir des pinceaux lumineux qui n’auraient présagé rien de bon. Il évite un bourg ; puis, après deux ou trois kilomètres, il retombe sur une route qu’il quitte à nouveau, arrivé à un carrefour où se dresse une chapelle, pour une marche plus longue, pour une avance plus lente, mais plus sûre, sous des couverts plus espacés.



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