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Photo de plaine céréalière, horizon dégagé
Photo de villa perché sur éminence près de la mer



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RÉSISTANCE ANTICRIMINELLE

-2021-



     À travers une palissade, un enfant regarde une plaine céréalière qui s'étend à perte de vue. Il est en face d'un creux où le vent s'amuse à franger d'ondulations les épis. Il y a des créatures en vol, à peine visibles dans l'espace au-dessus. Tout respire la tranquillité en cette fin d'après-midi. Soudain dans un fracas de tonnerre, surgissent deux gros points noirs au ras des blés : des hélicoptères ! Ils se rapprochent vite. Des silhouettes s'en détachent pour atterrir en-dessous et se mettent aussitôt en mouvement, ils viennent en direction de l'enfant, et celui-ci aperçoit alors distinctement leurs bérets...
     L'enfant comprend tout de suite qui sont, ces rébarbatifs, ce n'est pas un exercice ! Il se rappelle avoir dit la veille à son hôte, son bienfaiteur inespéré, ceci : « Ils sont comme les punaises, ils s'incrustent partout et empuantissent tout, faisant couler le sang, et contre eux, seules, les armes peuvent parler »...
     Timmy va sur ses treize ans. D'une expérience si courte de la vie, il tire déjà un enseignement très commun, mais très sage aussi : ne pas faire le brave quand on est en situation précaire, quitte à fuir le contact. Avec les inconnus, cela ne marche pas si mal, surtout quand ils débarquent en force sans prévenir, par les airs qui plus est. Timmy détale donc sans demander son reste. Son bienfaiteur le voit arriver en trombe dans la cour. Déjà alarmé par le bruit des hélicoptères, celui-ci vient de sortir au-dehors de la villa. Ce n'est pas le moment d'arroser les plantes au jardin, tous deux se comprennent sans dire mot. Ils choisissent de s'écarter promptement du logis et de se mettre à couvert, sans plus attendre et sans rien emporter : tant pis, mieux vaut la vie sauve que de risquer sa fortune ! Ils prennent en courant le chemin de la falaise, se glissant entre les haies. La côte n'est pas éloignée ; car la villa est sur un cap, bâtie sur une éminence d'où on peut voir venir de loin, tout en étant cernée de feuillages, et qui surplombe les champs alentours.
     Descendant à peine, quelques mètres en contrebas de la paroi verticale, ils se tapissent bientôt dans une anfractuosité, bien connue des oiseaux ; mais qu'importe de racler le guano en pareilles circonstances !

     Cette fuite raisonnée s'ancre dans des souvenirs frais. Quand son bienfaiteur l'a ramassé dans les cartons, l'enfant dormait dans la rue. Les affres subies par son père qui tenait un hôtel-restaurant, le hantent toujours. L'établissement fut la proie de troubles incessants et, finalement, le bâtiment fut incendié par des mains criminelles. Ce qu'il convient d'appeler des maffieux, avaient un procédé répugnant : ils signaient leurs méfaits par des carrés avec quatre lettres en forme de sceau à l'intérieur, carrés qui puaient atrocement, et qu'ils laissaient aux quatre coins de l'établissement, jusque dans les draps de lit ; et cela, après avoir fait fuir tous les employés qu'ils menaçaient jusque chez eux... Timmy se rappelle bien : tous ces gens, aux mines patibulaires, portaient des bérets noirs...
     Le propriétaire de la villa avait été inquiété pareillement. Son bien est situé de belle manière, trop peut-être... Les maffieux ont quelque chose en tête, mais quoi exactement ? Lui n'a pas envie de mourir comme le père de Timmy, lâchement assassiné avec sa femme un matin au sortir de chez eux ; alors qu'ils n'avaient déjà plus de clients et peinaient à subsister. De toute façon, il n'est pas question de discuter avec ces gens-là pour comprendre quelque chose, ils ne respectent aucune loi, et peut-être ils les ont pour eux, par ceux qui les fabriquent, ou bien ils sont couverts par ceux qui actionnent les pouvoirs. Tout est méphitique là-dedans, et Tom, le propriétaire, s'il est doué dans les affaires, disposant de ce fait de quelques relations, n'a pas les moyens de jouer les héros en armes, si peu qu'il en ait envie...

*~*~*~*

–     Alors, on en est où de l'opération ?
Le gorille, préposé à la radiotéléphonie, lève le bras :
–     Hep ! Le boss veut savoir où on en est ?
–     Dis-lui que c'est en cours, on est au sol et on monte à l'assaut de la « chapelle »...
Chacun a son portable, bien sûr, mais le chef du commando veut garder son aise pour superviser, sans bourdon aux oreilles... Il a éteint le sien et commande à vue et par gestes. Dans certaines situations, c'est plus réaliste et efficace, sans parler de discrétion.
     Le commando progresse rapidement, mais avec circonspection, par mouvements reptiliens. Il est comme une griffe qui trace des sillons dans la végétation. Les membres de ce groupe ont l'air de craindre des tirs et sont volontiers courbés en deux ; mais que craignent-ils en vrai ? Ils ne sont pas sensés trouver une opposition bien redoutable en tout cas, mais qui les a renseignés au fait ?

     À cent lieues de là, un cercle d'affidés regarde avec gourmandise la carte de la région où se déroule l'action. Cette villa est dans un point stratégique.
–     S'il ne veut pas vendre, cette tête de nœud, il faudra bien qu'il passe la main ou il n'aura même pas droit à un cercueil !
–     Ha ! Ha ! Il disparaîtra corps et bien et on mangera son capital en prime !
Les maffieux s'en donnent à cœur-joie. Pour le coup, ils ne regardent pas à la dépense ! C'est qu'ils ont des idées... La propriété où se trouve la villa, est vraiment bien située. Ils ont des vues sur elle depuis un bon moment déjà et leur convoitise est vite suivie de prédation d'ordinaire. Ils en ont les moyens, bien sûr, et dégagent rapidement tout obstacle ; mais ce Tom-là, il en a dans la manche, et il leur a fait de la résistance à juste titre et bonne et due forme : de quoi les exaspérer ! Il a fallu qu'ils attendent le feu vert de la haute autorité ; ce qui n'est jamais gratuit, surtout pour des gens comme eux, sous tout régime et horizons...

     Malgré sa méfiance apparente, le commando de bérets noirs parvient sans encombre à la lisière du parc qui ceint la villa, tout en haut de la butte. C'est alors qu'ils sont pris sous le feu d'armes automatiques et plusieurs d'entre eux tombent.
–     Putain ! C'est vrai ce qu'il nous racontait, l'ancêtre...
–     À couvert ! Tout de suite ! …
Le chef du commando ponctue la réaction. Il faut voir d'où ça vient et mieux vaut un bon œil qu'une grande gueule ! Ils sont donc allongés sur le sol, vivants ou morts, et se demandent bien à combien et à qui, ils ont affaire ; car l'informateur n'avait pas précisé qu'il y en aurait plusieurs à tenir le canon, en face, peut-être... Simplement, il avait parlé de cette fille qui avait de la suite dans les idées et matière à se manifester... C'est vrai qu'une seule folle-dingue peut faire du dégât, surtout si elle est équipée, mais toute une bande, là, c'est une autre affaire !

     Entendant les coups de feu, Tom et Timmy, accroupis, échangent un regard perplexe :
–     On dirait qu'il y a de l'eau dans le gaz pour les forbans de la maffia...
–     C'était pas prévu au programme, je crois. Vous avez une idée de qui peut les moucher ?
–     Aucune, mais ils ont certainement des ennemis à force de créer des soucis... En tout cas, ce n'est pas moi qui vais les plaindre !
–     Moi, s'ils me voient, ils me tuent !
–     Oui, et c'est pour ça que tu as bien fait de vivre en dehors des clous, là où je t'ai trouvé. Ils ne peuvent quand même pas surveiller partout !
–     Je ne leur ai pourtant rien fait, c'est plutôt eux qui sèment la puanteur !
–     Oui, mais tu es resté vivant, après ce qu'ils ont fait à ton père et ta mère, et tu es devenu un témoin gênant, à ton insu, même à l'écart…
Au-delà de leur trou, la fusillade perd peu à peu en intensité. Le silence revenu, hormis la respiration de la Mer, ils attendent encore un peu par précaution, malgré l'inconfort de leur position. Et puis ils remontent à la surface : en haut de la falaise. Là, ils ne voient rien d'étrange dans les environs immédiats. Rien ne les y prépare donc ; mais au bout de quelques dizaines de pas, ils tombent sur une jeune femme en armes qui les regarde s'avancer, goguenarde.
–     Katarina ! 

     Le premier moment de surprise passé, Timmy s'est jeté dans les bras de l'inconnue qui ne l'est pas pour lui. Autour d'eux, surgissent rapidement des fourrés et massifs, quelques gens tout aussi équipés que Katarina. La voilà, la résistance à la canaille, la plus active, celle qui fait parler d'elle jusqu'en haut lieu, et pas toujours pour de nobles sentiments : une jeune femme énergique et quelques camarades qui ont vraisemblablement tous des comptes à régler avec la maffia au pouvoir et dans les couloirs du Pouvoir !
Timmy le sait bien, elle le caresse en le serrant fort contre elle.
–     Comment tu savais ?
–     J'ai des yeux et des oreilles partout, mon chéri !

*~*~*~*

     La bataille qui a été brève, n'a fait aucun dégât sur la villa ni sur la propriété où elle se dresse. Les bérets noirs qui roulent pour la maffia régionale, ont été stoppés net devant et ils y ont laissé des plumes... La petite troupe de leurs sauveurs raccompagnent Tom et Timmy à l'intérieur en laissant des sentinelles à l'extérieur. Tout le monde se désaltère un peu :
–     Ils vont revenir, monsieur. Il vaut mieux que je prenne le gosse avec moi, je le mettrai en sécurité. 
–     Faites donc, ma Belle. C'est vrai que le refuge n'est plus sûr, ici, ni pour lui ni pour moi, et je ne vaux pas tripette comme garde du corps.
Tom sourit douloureusement. Katarina lui prend le bras :
–     Vous avez déjà fait beaucoup et vous faites ce que vous pouvez. Vous aussi devez prendre des dispositions pour vous mettre à l'abri. C'est votre propriété qu'ils veulent, de force ou de gré, pour blanchir l'argent de leurs stupéfiants.
Un homme d'âge mûr, tout barbu et chevelu, ajoute :
–     En plus, elle est très bien située, au carrefour de routes de convoyage et contrebande maritime : une aubaine pour ces gredins ! 
Un autre lascar ponctue :
–     Ils ont des amis haut placés dans le gouvernement qui les arrose à profusion, les salauds ! N'attendez pas grand chose des rouages d'état sinon des coups tordus...
Katarina reprend :
–     On vous dit pas de venir avec nous, mais on peut vous conduire à bon port, au lieu de votre choix, pas forcément dans la clandestinité.

     Auparavant Katarina avait été employée dans l’hôtel-restaurant du père de Timmy. Elle y était serveuse et très populaire parce qu’affable et jolie. Elle était restée fidèle malgré les difficultés, et, une nuit, juste avant l’assassinat des parents de Timmy, les sbires de la maffia avaient pénétré dans son foyer, tué son compagnon, puis l’avaient violée, laissée pour morte… Depuis elle avait disparu et Timmy la retrouvait maintenant. Alors vous pensez bien s’il y a du lien entre eux : deux survivants qui ont des souvenirs en commun qui renforcent une tendresse, mutuelle, déjà ancienne. Eh ! oui, dans la tragédie, peuvent survivre souvent, les meilleurs sentiments humains, comme de belles fleurs naissent dans une fondrière.

     « L’ancêtre », lui, n’en mène pas large… Maintenant, il est au pilori, même s’il n’y est pour rien. L’échec était prévisible d’ailleurs. « Ils s’y prennent vraiment comme des cons » : pense-t-il. « L’ancêtre » est le premier magistrat de la capitale provinciale. Il bouffe à tous les râteliers, y compris celui de la maffia qui gangrène l’État, et, là, il commence à avoir une indigestion. Ce Tom de ses deux (…) a des relations qui le font chanter, et, cela n’a pas traîné ! En plus, le satrape de la région, corrompu notoire, a ouvert le « bureau des pleurs » et lui en fait part. Ils ne manquent pas d’air, les maffieux : « à grand renfort de pétards et singeries, ils veulent effrayer l’ennemi pour le faire déguerpir, aller plus vite en besogne, et faire place nette, et voilà qu’ils déclenchent une nouvelle guerre balkanique ! Et en plus, ils présentent leurs doléances, ces mal-dégrossis » ! Non ! L’ancêtre » n’a pas que ça à faire : à se contorsionner dans tous les sens, pour faire plaisir aux uns et aux autres ; à force il ne sait plus marcher droit !

*~*~*~*

     Le jour de grâce est finalement arrivé et le coup de grâce aussi… Impavide, de son nid d’aigle, Timmy suit l’évolution… Tom, l’intrigant, le redoutable homme d’affaire, a pris les choses en main et il se révèle bon général. Il a organisé de haut en bas la Résistance, et…il a de bons lieutenants comme Katarina. La Révolution est en marche, oui ! Peu à peu, les consciences s’éveillent ou se réveillent. La « Nuit » a été profonde, elle a engourdi le peuple : enfin tous les pauvres gens qu’on réunit là-dedans et dont tout le monde veut parler en son nom, surtout ceux qui l’exploitent… Tom était plus ou moins de ceux-là. Enfin, il a une conscience tout de même, une bonne parmi les humaines, et il le prouve encore, mais là, c’est l’apothéose. Le jour où il a été ramené à sa condition animale et sauvé in extremis, il a compris « quelque chose », il a été touché par la Grâce comme disent les pieux, et cela a commencé alors qu’il était entre Ciel et Mer, bercé par une force étrange… Oui ! le destin humain est étrange parfois, plus souvent qu’on ne le croit, et nous sommes les jouets d’occultes forces qui réservent et réserveront bien des surprises… Bien fou ou inconscient serait qui les sous-estimerait…et pourtant il y en a tant dans les allées du Pouvoir et ceux qui croient pouvoir s’affranchir des conditions du Vivant… Vain complexe de supériorité, les prétendants au rang de surhomme finissent toujours par déposer les armes, et ils n’emportent rien avec eux, que ce qu’il en reste dans la mémoire collective. La Révolution est en marche, oui, et elle n’oubliera rien !







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