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Photo allée arbres devant mur en vert.
Image symbolique de conspirateurs dans carré jaune.
Crédit pour cette illustration : "Getty Images".



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DISPARITION INEXPLIQUÉE

-2023-



     Il y avait eu du brouillard dans sa vie, il revenait d’un long voyage… Fabien se rappelait, l’œil au fond de la poche et les souvenirs en suspens, des temps pas si lointains. En fait, il retournait chez lui, pas trop sûr de ce qu’il y trouverait… Il marchait et n’était pas dans l’esprit du jour. À la sortie de la gare, il longeait des arbres, sagement plantés au bord d’une avenue pour décor. Il n’y avait pas grand chemin à faire pour retrouver son logis. Il avait bien laissé quelques affaires dedans, quelques modestes meubles aussi, mais rien de valeur ou compromettant. Dans quel état, étaient, ces modestes biens maintenant ? Comment avaient-ils résisté au délaissement ? Étaient-ils toujours en place seulement ? Ces questions simples revenaient naturellement. La parenthèse de sa vie leur laissait la priorité dans les réflexions du moment.

     Si cette dame patronnesse qu’était sa propriétaire, ne lui avait pas fait tant d’embêtements, cela eut été, somme toute, une bonne planque, un bon refuge en tout cas pour retrouver ses esprits, se reposer un peu après le turbin. C’est bien pour ça qu’il y ait été resté d’ailleurs, le temps de se fixer d’autres objectifs…
     Le loyer n’était pas trop élevé aussi pour le secteur, bien que le confort fut spartiate, avec des toilettes dans le couloir, dans les parties communes, mais à chaque étage quand même. Non, ce qui n’allait vraiment pas, était cette manie de la vieille harpie de fermer les portes le soir, en particulier l’accès à la rue, et ainsi de vouloir contrôler les entrées et sorties. Fabien s’était senti empêché d’aller et venir à sa guise, et en avait éprouvé un déplaisir considérable.

     Quand il entra dans le bâtiment, il fut stupéfait, il ne reconnaissait rien dedans ou presque. Tout avait été rénové. Il se trouvait maintenant dans un grand hall, parsemé d’indications. L’une d’elle pointait vers une grande porte à double battant et mentionnait : Théâtre. « Mazette ! Vraiment, c’est une première » : pensa, Fabien. Il s’engagea dans un escalier minéral, tout propre et récent, qui menait aux étages. Ainsi il arriva dans un couloir, avec toutes sortes de bureaux en enfilade, aux baies vitrées. À l’intérieur, il y avait peu de monde d’après ce qu’il voyait. Il alla jusqu’au bout pour retomber sur un escalier qu’il descendit pour se retrouver dans un autre couloir, à peine éclairé, celui-là ; où s’alignaient, quelques portes closes, qu’évidemment il avait scrupule à toquer, sans motif valable. À l’autre bout, il emprunta de nouveau un escalier qu’il remonta cette fois pour ne rien repérer de familier. Il navigua ainsi dans les étages, complètement paumé et n’osant rien demander. Des gens qu’il pouvait voir, personne ne faisait attention à lui de toute façon. Il finit par se perdre dans les suites de pièces, ne regagnant plus une issue vers le hall de son arrivée. Il se piqua alors de sortir au plus vite de ce dédale qui ne lui rappelait rien et finalement, il aboutit dans la cage d’escaliers qu’il reconnut pour mener à son vieil appartement, mais planté devant un plateau de scène qui descendait comme un ascenseur et faillit l’écraser au passage. Ça, c’était nouveau, et il n’avait pas remarqué de mise en garde…

     Utilisant dès lors la voie qu’il connaissait, Fabien déboucha sur le palier qui menait à son objectif, et de là, il s’étonna devant un panneau annonçant : « appartements privés ». Cela aussi n’existait pas du temps de son refuge.
     Sur ces entrefaites, sortit inopinément, la vieille dame patronnesse qui le regarda d’abord surprise, puis le toisa avec un air de mépris.
     - Allez-vous-en ! Vous n’avez plus rien à faire ici.
C’était vite dit, vite expédié, sans cérémonial et d’un air revêche.
     - Comme vous allez en besogne ! Où sont mes affaires alors ?
     - Je les ai fait enlever. Vous les trouverez au garde-meuble dont je vais vous donner l’adresse.
Et elle se retourna, en lui claquant la porte au nez.

     Peu de temps après, muni des coordonnées utiles sur une carte de visite, il parvint dans un autre hall, celui de l’entreprise de transport appartenant également à la vieille harpie.
     Sans chercher vraiment à se cacher, il se trouva masqué par un tas de marchandises, quand il entendit une conversation. Jetant un coup d’œil prudent par côté, il vit deux types au travail, plutôt hirsutes, qui chargeaient l’arrière d’un camion, en perpendiculaire à sa position. Par curiosité et n’osant pas se faire remarquer, il écouta un peu plus. Les gars en question se faisaient des confidences sur la disparition inexplicable d’un collègue, et cela remontait à peu, d’après leurs commentaires.
     Là-dessus, arriva un troisième homme, un peu plus âgé et de bonne mise, auquel ils posèrent des questions sur l’étrange disparition, et qui parut gêné s’il était sensé en savoir plus. En tout cas, il ne répondit pas directement et donna d’un ton neutre des consignes, en leur tendant des plans de tournées, probablement pour des livraisons. Cela devait être un chef d’équipe. Finalement, comme il se retirait, presque sur la pointe des pieds, le plus jeune des conducteurs lui passa sous le nez avec défi… « Étrange ! » se dit, Fabien.

     Peu après, toujours furtivement, Fabien réussit à trouver la sortie qui lui pendait au nez, s’il avait pris la direction inverse de celle de son maintenant ex appartement locatif. Il déboucha ainsi dans une large avenue, au grand air, avec des arbres aussi et un trafic apaisé. Il eut un sentiment de liberté retrouvée qu’il connaissait bien… Du coup, il oublia un instant sa pitoyable équipée de l’heure. Restaient, les problèmes essentiels… Et on verrait pour la suite, il soupira.

     Fabien était dans des difficultés financières, après un séjour en maison d’arrêt. Sans travail, un peu tourneboulé par sa mauvaise séquence d’existence, à la recherche de reprendre pied quelque part, tout simplement, il cherchait en fait à se rendre dans la bourgade où il résidait dans ses vertes années d’insouciance, et d’où il avait été chassé par la misère et l’ostracisme des beaufs, pour enfin atterrir dans ce pigeonnier de vieille bourgeoise, avare et profiteuse.

     Quelques jours après son aventure, un rien rocambolesque, notre infortuné voyageur, attablé sur une terrasse pour prendre un café, en homme libre de tout engagement et sans devoir compter son temps, il apprit, en lisant un journal local, une surprenante nouvelle. Figurez-vous que la vieille dame dédaigneuse qui l’avait expédié comme un intrus, était soupçonnée de meurtres, pas moins, et d’un grand nombre de combines malhonnêtes… Le sourcil haut, il vint alors à l’esprit de Fabien qu’il avait peut-être, lui aussi, échappé à une disparition inexpliquée, et il referma son journal, songeur… Décidément, les plus malfaisants ne sont pas nécessairement là où croient les bien-pensants généralement. 








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