vers publications an 2022
Vers index des publications 2022

vers bas de page


Photo de face d'une automobile Panhard 24 BT, rouge, le 07-04-1979
Voici un souvenir : d'une automobile Panhard 24 BT, c'était ma première voiture, achetée le 18 janvier 1979,
prise en photo le 07 avril 1979, elle avait été bien retapée à cette date : mécanique et carrosserie.

Image composée de quartier urbain éclairé avec planètes en arrière-plan



version PDF de corniaud-sympathique





CORNIAUD SYMPATHIQUE

-2022-



     Je me regarde dans la glace : « un drôle de zèbre ! » me dis-je, « tu as des airs de Che Guevara, mais à l’envers de l’histoire, point de héros ni même de desperado, un pauvre corniaud, c’est tout. » Je me lave les mains, dans les toilettes de la station service, un dernier geste pour relever une mèche rebelle et voilà, c’est reparti. Dehors, la Panhard brille sous le soleil de mai, elle est rouge pompier ou plutôt rouge cerise, je préfère. Comme cela, je ne passe pas inaperçu ! Mon pote est dedans, m’attendant.

     Nous venons de quitter la ville : « Bad zone city » comme je l’appelle par dérision revancharde. Ah ! C’est dur à dire, mais je me suis fait éconduire, malgré tout mon clinquant et ma roue de paon en éventail, qui n’ont pas valu plus que des colifichets. C’est que je ne dois pas être à l’aise dans les poses naturelles, m’a-t-on dit. Et encore s’il n’y avait que les poses naturelles à prendre…

     Un fois décollés de la pompe, nous roulons encore une petite heure, avant que l’envie de déjeuner nous prenne, et puis l’occasion s’y prête. On gare la voiture sous les platanes d’un mail et nous pénétrons dans un restaurant, bien clair et spacieux quoique d’aspect vieillot. Au cours du repas, mon pote en vient à me demander les raisons de ma contrariété, j’ai l’air renfrogné et plutôt apprêté, paraît-il.
     Là-dessus, je m’exclame bruyamment et me racle la gorge. Au détour de généralités, la question me prend au dépourvu, j’ai l’habitude de fermenter dans la solitude sans me soucier de mon aspect extérieur. Avant que j’ai pu répondre quelque chose de consistant, arrive, un gonze trapu et crâne nu, au regard inquisiteur :
-    Quelque chose qui ne va pas ? Un problème, messieurs ?
-    Non ! Non ! Tout baigne, merci bien !
Pourquoi il « s’alarme » pour si peu, ce type, je me dis dans mon fond intérieur ?… Le type nous dévisage avec intérêt, mais avec suspicion :
-    Vous êtes sûrs ? Je suis le patron de l’établissement et au plus près de la clientèle.
-    Oui ! Oui ! Aucun problème justement !
-    Ah ! bon ! Je croyais que si, vu le bruit…
Il ne rigole pas ! Il commence à m’agacer, le « bollard » disruptif. Mon ami, en face, a l’air de s’amuser de l’instant…
-    Que voulez-vous ! Je suis d’un naturel spontané et m’exclame facilement, si c’est le motif de votre inquiétude.
Le type toise, l’œil torve, et profère :
-    Ah ! bon ! Si ce n’est que ça… Il y en a qui se contrôlent pas ou se tiennent peu en société, c’est un fait, mais ici, les gens ont besoin de tranquillité, ils ne viennent pas pour le spectacle, et encore faudrait-il qu’ils y trouvent leur compte… Sur ce, je vous souhaite bon appétit, messieurs.
Et il repart promptement, comme s’il était monté sur roulettes. 
     Enfin, quelle sentence, il dispense le bonhomme ! Voilà qu’il fait la morale, peut-être pour mieux intimider voire déstabiliser son client ; alors que nous sommes juste de passage si pas royaux… J’en ai rien à foutre de lui, mais il me contrarie effectivement, ce « bollard » caustique. Cependant je ne vais pas rentrer dans son jeu aussi, par exemple, provoquer du tac au tac ;  surtout que j’ai d’autres soucis. Donc je me contrôle, effort certain : pas la peine d’ajouter un problème à un autre ou déconvenue, en particulier pour faire plaisir à un beauf, tout empesé de son importance. Il y en a tant comme lui, surtout en ce moment… Et nous finissons de manger en vitesse, payons presto et filons sans plus d’égards, sans demander notre reste, sans commentaire superflu aussi, et le sourire figé comme des gens grimés sur scène.

*~*~*~*

     Parlons un peu du contexte maintenant (ceci à relier à l’anecdote qui précède), nous vivons une drôle d’époque : encore une, me direz-vous ! Un peu partout dans le pays, il ya quelques fanatiques : gens dits radicalisés, à la cervelle transformée en nid de frelons, qui se prennent pour les bras armés du dieu de leur imagination, et, qui font sauter un peu tout et n’importe quoi des symboles de divers pouvoirs et de l’État ainsi que de leurs serviteurs, y  compris en se faisant exploser eux-mêmes parfois dans le lot, évidemment avec nombre de dégâts collatéraux… Si bien que les bonnes consciences, citoyennes ou pas, en sont toutes retournées, et l’ordre bourgeois est aux abois ; et là, je peux vous garantir, qu’on fait donner toute la meute des cerbères et auxiliaires de contrôle divers, patentés ou pas, et chacun, chacune, y mettant du sien pour mieux nous « protéger » soi-disant. Véritablement, je vais vous confier aussi, nous parvenons ainsi à étouffer dans une atmosphère sécuritaire qui fait ressortir le côté sombre de l’individu à tout bout de champ, toute occasion. Voilà pour dépeindre l’ambiance générale, fixer le cadre où nous évoluons ces temps-ci, moi, mon pote, et ma vieille automobile Panhard, et cela nous rappellerait presque un « bon vieux temps », pas si glorieux pour la France, n’est-ce pas ? …

*~*~*~*

     Dans l’après-midi, nous arrivons à destination. Je gare la bagnole dans une rue, un peu à l’écart du lieu où nous nous rendons ; étant là au sujet de prouesses sportives à faire valoir, et nous nous débrouillons pas mal en jeu de ballon. En fait, il s’agit de répondre à un défi entre jeunes coqs qui date de l’avant-veille. En arrivant au stade, nous prenons la douche, histoire de se rafraîchir et couper au voyage, et une deuxième nous attend, en sortant… : pas prévue celle-ci ! Du coup, ils n’y vont pas de main morte ni par quatre chemins : nous sommes embarqués, manu militari, et garrottés, puis jetés dans un van comme des paquets de linge sale.

     J’ai eu du mal à réaliser, avec une bosse sur le crâne. Nous sommes dans une pièce à peine éclairée, gisant sur le sol. Mon copain est encore plus mal réveillé et grogne à peine quand je lui parle pour m’assurer de son intégrité. Mais qu’est-ce qu’on fout là ? Où est-on ? Bon sang ! Que se passe-t-il ? Je n’y comprends rien. Avouez que c’est quand même étrange comme péripétie ! En fait la pièce, c’est plutôt un cabinet noir, avec une sorte de veilleuse au-dessus de la porte. Nous sommes toujours entravés, quoi sans martingale et les bras liés devant maintenant. Enfin la situation n’est pas commode quand même !

Nous sommes extirpés au bout d’un temps incalculable et poussés comme des ballots dans une pièce au jour cru qui nous aveugle ; mais nos yeux n’ont pas trop le temps de ciller. Nous sommes assis de force et maintenus contre le dossier.
-    Vous avez de la chance, les caves ! Toi en particulier, le Barbu…
     Il y a une fille qui m’a dit deux mots sympas sur toi, tout à l’heure, et c’est une sœur pour moi. Ça tombe bien, n’est-ce pas ! …
     Nassirah, ça te dit quelque chose ? …
Comme je suis ébaubi et indisposé, apeuré aussi, je ne réponds que par un vague hochement de tête, mais cela me dit quelque chose en effet… Donc, celui qui semble le chef de bande, il prend un air plus magnanime, mais que sais-je ! Je n’ comprends toujours rien à ce qui nous arrive.
-    Bon ! C’est bien, on va vous donner votre chance, mais motus ! Si je n’ai pas d’échos et n’entends plus parler de vous à l’avenir, ceci : votre passage chez nous, n’aura été qu’un exercice impromptu, sinon…
Et il jette un regard circulaire sur les mines patibulaires qui nous entourent :
-    Vous aurez de gros soucis existentiels, sans parler des conséquences pour vos proches. Me suis-je bien fait comprendre ?
Ce gars-là paraît bien élégant pour un chef de bande : peut-être est-il en situation honorable à d’autres heures ; parce que l’aréopage qui nous observe, n’est pas dans l’affichage de marginalité. Mais au fait, qu’avons-nous commis pour se retrouver dans pareille situation ? J’en suis toujours là, les amis !

*~*~*~*

     Nous étions rendus dans un univers glauque, ils nous lâchèrent en fin de soirée. Nous sommes dès lors piétons au milieu d’une mosaïque de cités et j’espère que notre équipée va bien se terminer maintenant. Il y a une circulation débridée de véhicules customisés ou de voitures bricolées et parmi ce flot, quelques modèles haut de gamme, neufs et rutilants… À l’évidence nous sommes déplacés dans une banlieue, alternant zones résidentielles et chaudrons populaires. Elle m’est inconnue et ne m’inspire pas confiance. C’est souvent le théâtre de trafics en tout genre et malheur aux caves ! Je n’ai pas envie d’y séjourner longtemps et d’être exposé à d’autres mésaventures. Cela suffit pour aujourd’hui ! Reste à reprendre le chemin du stade et retrouver la Panhard. Pourvu qu’elle ait échappé au « bricolage », elle aussi.

     Comme nous passons sur une place circulaire, avec un terre-plein central, nous assistons à une scène étrange. Par une trappe ouverte, nous voyons en sous-sol tout un réseau de câbles et conduites, où se démènent des silhouettes au milieu d’éclairs bleus. On ne demande pas de quoi il s’agit et, d’instinct, nous pressons le pas. Certes, peut-être s’agit de services techniques à l’œuvre : ce n’est pas de notre ressort en tout cas ! Peu après l’éclairage s’éteint brusquement et on se retrouve dans la pénombre.
-    On dirait qu’ils font un exercice de black-out, les gars…
-    Ouais…ou alors, c’est pour préparer un piratage !
-    Tu plaisantes ! Enfin, restons pas dans le coin. Cela me dit rien qui vaille.
-    En plus, la scène est minable !

     Nous avons de la chance, si on peut dire ! Retrouvant notre sens de l’orientation, nous ne tardons pas tomber sur les forces de l’ordre, postées en nombre au coin d’une rue, qui nous interpellent illico pour vérifier nos papiers qu’on nous a laissés de bonne grâce, encore heureux !
     Les lardus soupçonneux font une vérification en règle et on a droit à la consultation des fichiers en ligne. Apparemment, le dispositif policier semble important et les lardus sont bien équipés comme si nous étions en guerre… 
-    Bon, OK ! pour vous. Mais nous avons un signalement de disparition, vous concernant. Vos familles semblent s’inquiéter. Que vous est-il arrivé ?
-    Euh ! …
Il y a comme une gêne. Que répondre à ça ? Que dire qui paraisse crédible sans vendre la mèche ? Quelle attitude tenir pour ne pas risquer des complications potentielles que je préfère éviter ? … D’un autre côté, je suis passablement remonté contre ces complications justement, et puis, fatigué et énervé, baladé après avoir été assommé, sans aucune explication qui plus est. Alors autant mettre les pieds dans le plat et dire la vérité, et après, retrouver ma bagnole, mon lit et mes rêves. C’est tout ce que je demande. Je m’endormirai alors avec la beauté d’un regard et les formes à Sarah, comme une image à la lucarne de mon ciel qui vaudra pour le Paradis ! Je ne suis qu’un pauvre corniaud romantique, un tendron, pas un héros, que voulez-vous ! Et je ne tiens plus à me tromper de chemin…: du genre qui borde les précipices et peut vous amener à la disparition, du moins dans le réel, en perdant des bouts de soi-même quelquefois…

*~*~*~*

     Nos proches étaient inquiets, c’est vrai. Mes parents et ma sœur l’étaient d’autant plus qu’ils avaient reçu un message de notre part soi-disant, les assurant de notre bonne santé et d’un retard imprévu pour régler une affaire privée ; alors que les dirigeants du club sportif qui avaient organisé le tournoi auquel nous devions participer, leur avaient demandé où nous étions passés, vu notre absence sur le terrain, malgré une rentrée au stade, et encore plus, que notre véhicule, la Panhard bien connue, avait été repérée, garée à proximité, sans avoir bougé depuis. La chose était étrange pour les gens qui nous connaissaient. Enfin, moi, je n’avais prévenu personne de notre équipée à « Bad zone city ».

     Le fin mot de l’histoire est que nous étions tombés dans un trafic d’argent sale : paris et matchs truqués ; et que nous étions arrivés au mauvais moment dans le mauvais endroit…
     Je ne vous dis pas comment on tombe facilement dans des complications imprévues et comment la réalité dépasse souvent la fiction, et là, pas question de rêver !  Nous avons même eu droit à participer au procès, d’abord suspectés, dans la fameuse ambiance que je vous décrivais auparavant. Et puis finalement, je suis reconnu comme un innocent corniaud, qui voit passer les nuages au-dessus de sa tête, sans les attraper, et qui arrive même à faire sourire les plus endurcis. Alors parfois je parviens à émouvoir des cœurs, souvent malgré moi, il faut le dire… ☺







vers haut de page

vers publications an 2022
Vers index des publications 2022