LES PETROPHAGESRennes, le 03/12/2003 Certains croient toujours que le pétrole est la seule source d’énergie sur la planète. D’autres vous parlent d’innovation automobile en vous présentant des airbags qui vous causent 3000 à 4500 Euros de dégâts dans l’habitacle en se déclenchant ainsi que des ceintures à prétenseur qui vous cassent trois côtes afin de mieux vous protéger lors d’un choc. Avec tout cela, nous sommes en train de nous suicider sûrement alors que l’électricité, le thermonucléaire, le gaz, le charbon propre, le vent et les piles à combustible sont des solutions d'ores et déjà opérationnelles et ne demandent qu’à être mises en oeuvre. Mais l’avènement de toutes ces merveilles ne se fera pas car il y a un obstacle de taille : la prodigieuse bêtise humaine… __________________________________ Johnson regarda l’écran à plasma de son centre multimédia. L’horloge marquait la 17ème heure du 23 décembre 2158. Il faisait sombre à l’extérieur de la nouvelle ville de Paris. Elle dominait le bassin parisien, inondé depuis cinquante ans, du haut de ses piliers d’élévation. Autour, sur les parties émergées, c’était le désert biologique. Il n’y avait plus d’arbres, plus de fleurs, plus de bactéries. La France et le monde entier étaient un dépotoir boueux et infâme, couvert de détritus. Sur cette décharge, le flot des rayons solaires, mortels, alternait avec des pluies incessantes et visqueuses. Les dômes où l’on cultivait les cellules alimentaires de synthèse s’élevaient à quelques pas du bureau de Johnson. En tant que journaliste et écrivain, il savait que cette ressource ne suffisait pas à nourrir la planète. Certains prétendaient qu’on ajoutait à cette camelote des protéines d’origine animale et de discrètes analyses avaient confirmé ces affirmations. Or, sur cette foutue boule de roches stérile, il n’y avait plus rien de vivant en dehors de la bande d’andouilles qui l’avait sabotée. Donc, on pouvait imaginer facilement l’origine de la nourriture. Le pire cauchemar des auteurs de science fiction s’était réalisé mais le plus horrible, c’est que tout le monde le savait, tout le monde l’avait compris, mais aussi, tout le monde s’en moquait ouvertement. Les humains depuis la fin de la première décennie du troisième millénaire avaient pris l’habitude de découvrir les pires horreurs sans réagir. A force de : « Politiquement Correct », de « c’est vrai ce que tu dis, mais tais-toi ! », l’humanité s’était « moutonisée ». Tant qu’il avait son cinéma domestique, son « inserteur de pensées » qui lui créait des souvenirs de vacances sur des îles tropicales, ensoleillées, disparues depuis cent ans maintenant, l’homo sapiens sapiens était heureux. Entre sa récréation sexuelle quotidienne et ses séances de confinement devant la télévision, il travaillait comme une brute sans même s’en apercevoir. *
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Mais comment pouvaient-ils supporter cette vie dans des villes fermées, ces blockhaus de béton qui l’isolaient d’un monde extérieur devenu hostile. Et surtout, à qui profitait ce gigantesque camp de travail qu’était devenu le Terre et dont les nazis eux-même n’auraient pas pu rêver. Johnson alluma un de ses derniers cigares. Il en avait acheté trente boites, vingt-sept ans plus tôt. Il ignorait complètement d’où venaient ces havanes savoureux car il les avait trouvés au cours d’une enquête sur le marché noir. A cette époque, il avait cessé de se laisser manipuler. En effet, il avait compris beaucoup de choses. Il existait quelque part des terres encore cultivables, des eaux encore saines et un climat encore serein. Toutes ces merveilles étaient réservées désormais à une élite qui profitait du malheur de l’humanité pour vivre pleinement dans un petit paradis soigneusement dissimulé. Et l’écrivain s’en doutait, mais il ne pouvait le prouver. Cependant, on le trouvait dangereux car on lui laissait beaucoup de liberté en haut lieu. Il avait un bel appartement dont les fenêtres permettaient de voir les ruines des tours de Notre Dame de Paris dépassant de l’océan. On lui avait aussi installé, à la suite d’un concours auquel il n’avait jamais participé, une piscine avec une vraie pelouse entretenue gratuitement à vie sur sa terrasse. Tous ces bonheurs lui étaient échus après son article sur les sociétés exploitant les carburants fossiles. Il y révélait que les échecs des autres énergies avaient été soigneusement orchestrés et que les forages ainsi que les découvertes des réserves pétrolières des Pôles Nord et Sud n’avaient été possibles que grâce à la fonte des glaces. Les changements climatiques n’étaient donc pas une fatalité, ils étaient issus d’un processus très bien organisé. Mais le « c’est vrai ce que tu dis mais tais-toi » avait secrètement été prononcé et Johnson, déjà parce qu’il était fatigué de tout ce foutoir qui régnait sur le monde et surtout, parce que sa vraie mission était d’une autre nature, avait fermé sa large gueule. ***
Il se connecta sur le réseau télévisuel afin de suivre le semblant de journal d’information que diffusait une des chaînes européennes officielles. Les tristes corniauds de l’entreprise « Les forages pétroliers du Grand Nord » continuaient de percer bêtement ce qui avait été jadis le fond de l’Océan Arctique. Il voulait atteindre une poche qu’ils pensaient être une réserve d’un milliard de tonne de pétrole. Il avait découvert celle-ci à une profondeur de cent trente kilomètres, près du magma. La croûte terrestre était exceptionnellement épaisse là-bas. Pour pouvoir exploiter cette nappe, ils étaient prêts à tuer père et mère. Ils enfilaient les tarières une à une, avec un aveuglement frôlant le mysticisme. Alors Johnson sut que l’heure était venue. Il ne fut pas surpris de voir le salon de son appartement s’évanouir autour de lui. ***
L’écrivain était maintenant à bord de la station orbitale Jovienne de l’Empire des Voyageurs d’Aldénaïde. Il sortit du sas du translateur photonique ; puis se dirigea vers la cabine de l’amiral en chef des scientifiques aldéniens. Depuis toujours, ces extra terrestres visitaient les mondes de la Galaxie afin d’y récolter des renseignements scientifiques. Leur civilisation très ancienne s’était développée pacifiquement dans le centre de la voie Lactée, puis, s’était lentement étendue de planète en planète. Quinze millions d’années plus tôt, ils étaient passés près de la Terre. En ce temps là, la boule bleue était un monde sauvage et riche. Les Aldéniens l’avaient pourtant sauvé du désastre. Une race d’insectes pétrophages capables de résister à de très hautes températures et des pressions titanesques s’y répandait anarchiquement et menaçait de dévorer l’astre en entier. Ces animaux étaient un des très rares accident de la nature. Alors, pour sauver la vie fantastique qui régnait dans ce système solaire, les Voyageurs d’Aldénaïde avaient commencé par détruire les nuisibles. Puis, les extra-terrestres avaient constaté que ces derniers étaient particulièrement résistants, ils ne pouvaient disparaître que soumis à la fusion de l’Atome ou bien affamés plus de 24 heures, c’est à dire, abandonnés dans le vide interplanétaire sans aucune poussière à absorber. Alors, les Aldéniens avaient capturé ces monstres, puis, ils les avaient enfermés dans un gigantesque caisson d’alcarasium : un métal totalement inaltérable et non comestible pour les pétrophages. Enfin, ils les avaient enterrés sous le Pôle Nord de la Terre au plus profond de la croûte rocheuse. Des tests aldéniens avaient démontré que les bestioles étaient entrées en hibernation et que la chaleur du magma peu éloigné, suffisait à les alimenter. Et cette impensable survie continuait depuis quinze millions d’années !!! Les Voyageurs d’Aldénaïde avaient, par conséquent, laissé une station de contrôle permanente de la Terre en orbite autour de Jupiter. Les pétrophages allaient être libérés par les humains, car ces triples buses croyaient que le caisson des Aldéniens étaient une nappe de pétrole. Quand les glaces des Pôles avaient fondu, Les extra-terrestres avaient envoyé Johnson surveillé les évènements. Ce dernier était un Androïde de forme humaine extrêmement sophistiqué dont la mission avait été de persuader par ses écrits les humains qu’ils se trompaient sur leur choix énergétique et que le globe terrestre pouvait encore être sauvé. Mais la réaction avait été inattendue, même pour l’intelligence artificielle, supérieure à celle des terriens, de l’Androïde Johnson. En effet, on l’avait d’abord empêcher de s’exprimer en lui interdisant les accès aux médias. Comme il avait détourné les obstacles, on avait ensuite essayé de le corrompre. Une telle aberration typiquement terrienne avait failli griller le cerveau biosynthétique du cyborg. Ce dernier s’avança vers l’amiral qui l’attendait dans son fauteuil de commandant. - Vous avez fait du bon travail, commença celui-ci… - Mais j’ai échoué, interrompit Johnson. - C’était couru d’avance, assura l’Aldénien. En vous envoyant là-bas, nous savions déjà que c’était peine perdue. Mais cependant, il fallait essayer… - Nous devons sauver ce monde, Amiral, déclara le robot. J’ai beaucoup aimé ce que vous m’en aviez montré avant mon départ pour la mission. - Ce qui prouve qu’une intelligence artificielle peut-être plus sensible qu’un être vivant, assura le commandant. Mais la Terre est née, si j’ose dire, sous une mauvaise étoile. C’est la seule planète qui a connu, en si peu de temps, deux accidents graves de l’évolution. Le premier fut la prolifération des pétrophages. Mais cela, nous l’avions endigué. Il y eut ensuite la domination de l’homo sapiens sapiens. Là, c’était vraiment de trop. Tenter d’intervenir sur une telle série de désastres devenait de l’acharnement thérapeutique. - Cette évolution des hommes est-elle vraiment accidentelle ? Demanda Johnson. - De ceux-là, oui confirma, l’Amiral. Les néandertaliens possédaient une intelligence moins vive mais plus réfléchie, plus adaptée à la prise en compte des conséquences du développement d’une haute technologie. Cependant, une graminée se répandit fortuitement sur l’habitat biologique de cette espèce pensante. Le néandertalien était hypersensible au pollen de cette herbe. Elle ne le tuait pas mais elle diminuait sa fécondité. L’homo sapiens ne subissait pas cette affection. Il remplaça, en le submergeant par le nombre, son concurrent qui s’éteignait lentement. C’est ainsi qu’une intelligence plus sommaire, plus portée sur l’assouvissement de son côté bestial et surtout moins apte à envisager le long terme prit le pas sur celle qui aurait dû dominer dans la sagesse. Tout cela à cause d’une petite herbe. Vous voyez, face à un tel concours de circonstances, nous étions vraiment désarmés. Maintenant, les pétrophages vont de nouveau se répandre sur cette planète et la dévorer jusqu’au noyau. Ensuite, je les anéantirai par le lancement d’une bombe d’antimatière, pour éviter qu’ils ne contaminent le reste de la galaxie. Quant à vous, je suis fière du sang froid que vous avez montré au cours de votre mission ! Même au bout de l’espoir, vous n’avez pas tenté d’utiliser les moyens de défense dont vous êtes doté pour réveiller ces malheureux et les secouer. Il vous a fallu un sang froid remarquable pour une intelligence artificielle comme la vôtre. Je suis admiratif. Partez reposer vos unités de processus dans votre cabine de restauration. Demain, l’atelier général adaptera votre aspect extérieur au Monde Marin des Glénan, dans la Constellation du Cygne. Votre prochaine mission sur cet astre calme sera reposante en regard de ce que vous venez de traverser sur la Terre. Pendant que le cyborg se rendait dans ses quartiers, l’Amiral, un décapode vertébré au corps équiniforme, se leva de son siège avec souplesse et de toute la vitesse de ses dix membres propulseurs, se dirigea vers le hublot de son poste de commandement. Au loin, près du faible soleil, une boule grise et sale était maintenant envahie par des nuées colossales d’insectes qui dévoraient avec avidité les roches, les immeubles et les habitants de ce globe. Le destin de la Terre était hélas de finir dans l’estomac des pétrophages après avoir été souillée et maltraitée par une espèce que l’évolution aurait dû éliminer rapidement, sans l’intervention inopinée d’une mauvaise herbe, 50000 ans plus tôt. Décidément oui ! Ce monde n’était vraiment pas né sous une bonne étoile ! -
FIN -
©
Guy RICHART, 2003
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