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LE DERNIER HUMAIN
 DE BRETAGNE





Rennes, le 6 janvier 2005.

     Il existe, de nos jours, une grande île tout au bout de l'Europe. Elle est nommée « Bretagne » par Les habitants de la planète Terre, sages, doux, très avancés technologiquement, très respectueux de la vie et appréciés des visiteurs venus des autres mondes pour leur philosophie apaisante. Ce beau territoire entouré d'océan est séparé du reste du Continent par un détroit large de deux cents kilomètres : Le Sillon de la Légende.
     Jadis, à la place de ce bras de mer, il existait un pays. Cependant, un être très puissant, aux origines de la civilisation agréable qui peuple aujourd'hui cet astre, sauva le règne animal sur la Terre. Il attira en cet endroit un fléau de la vie sauvage et civilisée et y alluma un soleil. Il réduisit ainsi le mal en cendres qui furent aussitôt balayées par les eaux se précipitant dans la faille ainsi créée.
    Ce démiurge se sacrifia dans cet ultime combat et laissa à ses successeurs un message et un espoir. On l'appela « la Légende » car il appartenait à une espèce disparue dont beaucoup de Terriens aujourd'hui aimeraient rencontrer au moins un représentant. Certes, nombre des semblables de « la Légende » étaient tournés vers le côté obscur de l'esprit, selon lui. Pourtant, d'autres étaient immensément bons et des reliques prouvent qu'ils ont créé la civilisation merveilleuse de notre temps.
     Un récit sonore laissé par le sauveur du règne animal lui-même, nous raconte toute cette histoire. Bien des découvertes archéologiques confirment l'existence, jadis, d'une forme de vie intelligente différente. Le vainqueur du mal a promis que des archives de ce passé oublié apparaîtront un jour, en Bretagne, pour éclairer notre monde sur son histoire. Lisez bien le texte du récit qu'a laissé « la Légende ». Vous ne comprendrez peut-être pas tout, mais vous saurez ensuite que les Terriens ne sont pas là par hasard...

**********

     Un monde comme celui-là est un cauchemar !!!
    Vous ne pouvez quitter votre maison forteresse pour profiter des rares moments de soleil et d'air respirable, qu'en pleine journée...
    Encore, faut-il ne pas vous éloigner de chez vous et rester dans les grandes rues de la cité, quel que soit l'armement dont vous disposez !!! Oui... Il ne faut surtout pas s'engager dans des voies trop étroites, où l'ombre procure des cachettes propices aux embuscades...
     Je ne me souviens plus exactement, ni quelle année, ni comment cela a commencé...
     Par contre, je sais que nous étions en hiver. Je n'oublierai jamais la neige qui tombait alors sur mon jardin. Cette blanche nappe poudreuse embellissait le relief de la lande constituant le décor du petit bourg des Montagnes de l'Arrée où je vivais.
     En ce temps-là, il y avait des enfants qui jouaient sur la place de l'église. C'était des petits hommes ou des petites femmes. Ces dernières étaient des créatures semblables à moi, mais elles appartenaient à un autre sexe... Je ne sais comment vous expliquer cela... Vous ne pouvez pas comprendre la signification de mes mots, si toutefois vous les entendez ou les lisez un jour... Enfin, les gosses avaient des membres courts et des gestes un peu maladroits, ils étaient si jeunes, si petits. En Bretagne, beaucoup possédaient le teint rose dans le froid de l'hiver. Ceux-là avaient leurs joues et leurs petits nez rougis par les frimas de décembre quand ils construisaient un bonhomme de neige devant le porche de la vieille chapelle. D'autres, car ma région était alors une Terre d'accueil et ses fils venaient de toutes les contrées du monde, avaient une peau d'ébène, leurs cheveux laineux étaient bouclés. Certains encore, avaient des yeux en amande ainsi qu'un sourire constant aux lèvres. Parfois, ils avaient même l'allure altière des bédouins d'Arabie.
     Toute cette diversité vivante se côtoyait dans mon village, sans crainte, avec joie. Mais pourtant, au milieu de cette sécurité, de ce confort et de cette paix, quelques jours avant Noël, les premiers échos du malheur ont couru, portés par la presse...
     Un service de l'hôpital général de Brest avait été ravagé durant la nuit. Les policiers avaient retrouvé les infirmiers, les infirmières et les malades, morts, atrocement mutilés. Ils avaient été tués par décapitation et leurs corps avaient été découpés à coups de haches d'incendie. Les légistes de la gendarmerie ne retrouvaient même pas la totalité des cadavres. Le plus affreux, c'est que les têtes des victimes n'avaient pas été tranchées mais simplement arrachées par une force inouïe. Cela passa pour un fait divers ignoble et souleva l'indignation, mais la vigilance des Bretons ne s'éveilla pas plus. Même les scientifiques les plus attentifs et soucieux ne réalisèrent pas la signification de cet évènement...

**********

     Les gens de ma génération avaient connu la seconde moitié du vingtième siècle et quelques-uns en avaient gardé des valeurs oubliées. Moi-même, j'étais un incorrigible romantique passionné par la nature. Je savais me contenter d'une bonne balade dans les paysages grandioses du centre de la Bretagne pour me faire plaisir. En amour, je n'étais pas marié mais j'avais une amie avec laquelle je partageais beaucoup de moments agréables, qu'ils aient pour cadre la vie quotidienne ou bien l'intimité de notre chambre. Elle me disait souvent qu'au lit, j'étais tendre, langoureux, mais aussi inventif et particulièrement sensuel.
     Ce n'était pas le cas de la plupart des gamins de l'époque. Ils n'avaient rien fait de leur vie, pourtant, ils étaient tous blasés... Ce qu'ils voyaient à la télévision, ils croyaient l'avoir vécu. Ils faisaient des voyages organisés aux quatre coins de la planète, dans des hôtels de luxe, bien encadrés par des larbins surentraînés et ils croyaient avoir l'étoffe d'un Monfreid ou d'un Kessel. En fait, ils n'étaient que des pions formatés par une société sans grand intérêt tant elle était malade de sa médiocrité.
     Les gamins de vingt ans avaient une existence tellement stupide, qu'ils allaient chercher des sensations dans des boîtes de nuit, des concerts ou des « Raves », comme ils disaient. Quand ils rentraient en couple, s’ils ne s'étaient pas trop défoncés à l'alcool ou à l'ectasie, ils ne prenaient même pas le temps d'arriver chez eux pour « s'aimer ». Comme il leur fallait tout, tout de suite, ils concluaient sans attendre, dans leur voiture qu'ils garaient sur un chemin de terre à l'orée d'un bois.
     Orléane, une petite de notre bourg, passait le week-end dans le pays, chez ses parents. Elle faisait ses études en ville et ramenait de son université, chaque année, un copain différent sans vraiment l'être. Ce soir de réveillon-là, elle et sa nouvelle conquête devaient venir par chez-nous après la fête. Avant d'arriver chez papa et maman, la gamine avait tenu à s'amuser dans un coin de la forêt communale.
    Les deux tourtereaux rangèrent donc leur automobile derrière un bouquet d'arbres et commencèrent, sans aucun préliminaire, à faire grincer les sièges. Le temps passant et les effets de leur étreinte restant peu sensibles, ce furent les amortisseurs fatigués de leur véhicule qui commencèrent à protester, tandis que dans la nuit, près de leur stationnement, un mouvement imperceptible fit frémir les feuilles d'un buisson de houx. La jeune femme ralentit les ondulations qu'elle imprimait à son bassin car, une silhouette fugitive venait d'être projetée par la Lune sur la vitre embuée du coffre. D'abord, son partenaire ne ressentit même pas le changement de rythme de sa compagne, cependant, il décida de la questionner entre deux gémissements quand elle s'arrêta de bouger complètement.
     S'il ne s'était pas comporté comme un goret et qu'il avait quitté des yeux le bas ventre et la poitrine d'Orléane plus tôt, l'imbécile aurait pu lire une expression d'horreur mêlée de douleur sur le visage de cette dernière. Il comprit enfin que sa copine ne participait plus à l'acte sexuel quand il entendit un craquement de vertèbre et que la tête de la jeune femme se détacha des épaules sur lesquelles elle reposait, dans un jaillissement de sang et de chairs déchirées. La seule chose que le garçon regretta avant de quitter la vie, ce ne fut pas d'avoir été incapable de protéger Orléane, ce fut de ne pas avoir réussi à jouir avant le grand saut dans le néant...

**********

     Après la découverte de ces assassinats à deux pas de ma maison, mes compétences en physique et en biologie, je suis ingénieur en médecine nucléaire, me firent comprendre l'essence extraordinaire de ceux-ci. Pour arracher une tête humaine comme celle d'Orléane l'avait été, il fallait une force gigantesque, supérieure à celle d'un gorille de quatre cents kilogrammes. Aucune arme ni aucun outil ne pouvait parvenir à un tel massacre sans laisser de trace identifiable. Or, dans le cas qui nous préoccupait alors, les médecins n'avaient découvert sur les restes de la jeune femme, que des hématomes en forme de doigt dus à une pression colossale sur la peau. Quant aux coups de hache qui étaient censés avoir découpé les membres des victimes, il s'agissait en fait de morsures profondes.
     J'ai commencé à craindre que les évènements de Brest et de notre village soient liés et aient été provoqués par une nouvelle espèce de prédateurs jusque-là, inconnue. La suite me prouva que je ne me trompais pas beaucoup et ces déductions, imparfaites certes, me permirent tout de même de prendre des dispositions pour me protéger avec mon entourage.
     En peu de temps, la catastrophe prit de l'ampleur sur toute la planète, les humains et les animaux furent décimés par des massacres semblables. L'incompétence des autorités policières et scientifiques, inaptes à identifier les auteurs de ce génocide, tournait à la bêtise pure. Mais les doutes furent levés quand mon amie et moi-même, nous faillîmes être victimes du fléau.
     Une nuit, nous fûmes obligés de rentrer tard de Paimpol. Les pertes dans la population, les élevages et les bêtes sauvages étaient telles que je décidais de ne plus respecter la loi. Aussi, lorsque je sortais après la tombée du jour, les meurtres ne se produisant qu'après le coucher du soleil, je prenais plusieurs revolvers de gros calibre sur moi. Mes craintes se réalisèrent durant ce voyage. A la hauteur du Lac de Brénilis, dans la nuit la plus sombre, sur la route de Morlaix à Quimper au pied du Mont Saint Michel du Braspart, ma voiture fut brutalement arrêtée en pleine route alors qu'aucun obstacle visible ne s'opposait à son déplacement. J'avais bien remarqué un mouvement dans l'herbe des bordures de la voie, mais je ne m'étais pas inquiété outre mesure, pensant qu'il s'agissait là d'une rafale de vent. J'accélérais comme un fou mais les roues patinèrent. Nous restâmes sur place. Ma compagne qui partageait mon opinion sur les carnages de ces derniers mois, ne paniqua pas. Elle prit le court fusil de chasse que j'avais dissimulé sous son siège. Il était prêt à tirer. Moi, je lâchais mon volant et n'appuyais plus sur les pédales. Je glissais mes mains dans les poches de mon manteau pour en extraire deux revolvers de calibre quarante-quatre magnum, chargés de balles chemisées.
     Dès que le moteur cessa d'entraîner les roues de notre véhicule, une silhouette noire, sans doute tapie au plus près du macadam de la chaussée, se dressa le long de la portière arrière droite. La forme était presque humaine mais elle appartenait à une créature de grande taille avec de longs membres aux muscles noueux. Nous n'eûmes aucune hésitation. La tôle du toit commençant à se déchirer sous les griffes du monstre, nous déchargeâmes nos armes à travers la carrosserie en direction de notre agresseur. Ce dernier fut projeté dans le bas-côté de la route et poussa un grognement strident en s'abattant. Notre véhicule était maintenant criblé de trous mais le moteur fonctionnait encore. Je décidai d'aller vérifier la nature du monstre que nous venions de tuer. Mon amie et moi, nous rechargeâmes nos armes et nous sortîmes prudemment. Je la précédais car mes revolvers étaient certes moins vulnérants, mais ils avaient une puissance de feu plus importante que le fusil. Les lampes-torches qui étaient fixées sur les carcasses de mes quarante-quatre magnums, balayèrent le bord de la route où était tombée la créature. Elle était bien là, baignant dans une mare de sang, mais elle respirait encore et bougeait faiblement.

.../...
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