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IL FAISAIT SOLEIL, DEMAIN !

Nouvelle version : 2012

Par Gilles Delcuse

http://destroublesdecetemps.free.fr/
~



« Il est des cas (…) où le soleil, qui à midi
éclairait un univers stable et prospère, découvre
bien avant le crépuscule, un naufrage absolu… »

Thomas de Quincey
La roue du malheur


Je pourrais commencer ce récit comme L’astragale : « Le ciel s’est éloigné d’au moins dix mètres. » Mais, ce n’est pas vrai ; mon ciel s’est éloigné beaucoup plus loin, au-delà de mon horizon, loin, très loin derrière la ligne imaginaire qui limite habituellement l’espace de sa propre identité. En fait, je voudrais parler d’un autre monde, mais je ne le connais pas. Je peux aussi commencer ce récit avec ce qui me tombe sous la main, mais je n’en vois pas le sens, parce que sous ma main, il n’y a rien, pas même les lignes imaginaires qu’évoquent les superstitions des cartomanciens. Pourtant, j’ai bien des choses à dire. C’est difficile. Alors, je les dis comme elles me viennent, des bas-fonds de la conscience. Je sais bien que personne n’éprouve l’envie d’entendre ça ; d’entendre les liqueurs qui nourrissent la réalité, être jetées en pleine gueule, brutalement, en vrac et sans condiment. Ce n’est pas une question de courage. Mais, c’est avec colère.

Je pourrais tout aussi bien commencer ce récit comme on commence un conte ou un rêve ; décrire les une et mille merveilles qui le tissent ; dire que je me réveille dans les parfums de l’amour, enivré par les arabesques de la chair… Mais, c’est faux. A quoi bon commencer un récit comme on imagine un roman ? La vie n’est pas un roman, même si le récit qu’on en fait s’arrange avec sa vérité. Et puis, quelle importance ? Alors, suivre les pas fracassés d’Albertine Sarrazin, qui commence son récit par cette phrase, cette courte phrase, si lourde de sens ; oui, mon ciel aussi s’est éloigné d’au moins dix mètres.

J’ai écrit ce récit par son côté inavouable, parce que je ne connais pas le bon côté des choses. Cela existe-t-il seulement ? Qui serait assez imprudent pour me prétendre le contraire ? Bien sûr, il y a le brillant et les paillettes, mais ça ne sert qu’aux illusionnistes. Ce que je connais, c’est la misère, les hurlements hystériques, l’odeur de ses propres furoncles… Les turpitudes de l’existence, appuyé sur le parapet qui jouxte un inévitable précipice. Voilà ce que j’écris. Ca vous ennuie ? Vous avez raison. Rien n’est plus commun. Jusqu’à la nausée. Mais, pas dans l’écriture. C’est une écriture rare.

L’inspiration m’est venue sous l’impulsion de mon miroir ; oui, mon miroir. Je l’observe depuis si longtemps, que je ne me suis pas aperçu qu’il vieillit mes traits à la rapidité de l’éclair, les creusant comme une saignée laminée par un racloir. J’y observe mes yeux, mais je n’en distingue plus que l’ombre que fait la cavité osseuse lorsque le soleil frappe. Je lui parle quelque fois, mais il me renvoie le mouvement muet de mes lèvres contre la paroi de mes oreilles. En fait, il est sourd. C’est mon miroir. A force de m’y observer, j’ai fini par m’y projeter, et je suis resté gravé dedans, comme momifié. Depuis, c’est moi que j’observe. Et je constate que je suis issu de nulle part, les épaules entravées par vingt-cinq siècles de morale, de censure, de mensonge et de convoitise. Mon propos n’est pourtant pas d’ajouter une pièce déjà écrite, à une mise en scène déjà jouée, mais de noircir les contours que les ans ont fini par édulcorer, afin d’en faire une force de frappe.

Je ne suis rien, et j’ai l’immodestie de le revendiquer.



I


« On se mouche, on jette et on oublie. »
(Ingrid Naour
Les lèvres mortes)


Mémoire à fragmentation.


Existe-t-il quelque chose de plus insoutenable que de ressentir en soi l’étrangeté de sa propre identité ? Existe-t-il quelque chose de plus douloureux que de ressentir en soi une sorte d’essaim pénétrer dans sa viande, une multitude d’organismes vivants, pénétrants, dévorants, s’absorbant ; l’impression que quelque chose de malsain grouille sous la surface de sa peau, annihilant toute possibilité de fuite ; soi devant son miroir brisé ; soi décomposé ; milles morceaux épars que rien n’arrive à reconstituer ; mille morceaux épars que rien n’arrive à recoller. Soi, fracassé, et dont l’envie alterne entre la profonde menace d’en finir, et celle de se poursuivre malgré tout, sans but ni odeur. Soi, comme multiple d’un morceau de viande dispersé à travers le prisme déformant de sa conscience ; n’être plus qu’un autre dans un jeu de miroir où la folie danse comme les ombres insaisissables à travers des herbes frissonnantes…

Il y eut ce moment où tout a basculé dans l’empire de la déraison ; ce moment qui a effondré la citadelle de mes certitudes ; ce moment qui a dévoilé un champ de ruines devant mes yeux incrédules. Ca s’est fait dans un grand bruit ; un bruit étrange ; un bruit qui oppresse… Ca ressemble aux bruits de souvenirs épouvantables qui remontent en surface et s’entrechoquent, et se mélangent, et s’éloignent, et reviennent encore plus menaçants, encore plus tapageur, encore plus violents, encore plus envahissants jusqu’à serrer la gorge avec une force implacable. Puis, un calme brutal s’abat sur l’instant d’après, dans la nuit glacée de torpeur.

Ces moments commencent le plus souvent, par des déjections. Une avalanche de déjections, suivie de cris déchirants. Ils proviennent de la foule immense qui vient de faire son apparition sur le tarmac de la conscience ; une foule compacte et violente, charpentée de haine, qui tourne en tourbillonnant dans un amas de poussière comme une galaxie. L’envie pressante d’éclater s’agrippe alors à ma gorge, et la serre de toutes ses forces jusqu’à ce qu’un fœtus s’expulse d’un ventre amniotique dans un spasme de vomissures ; un dernier spasme, dans un dernier soubresaut, avant l’arrêt définitif qui plonge en léthargie ; un coma prolongé qui efface les dernières traces de délire.

Le calme enfin revenu, cette insoutenable étrangeté n’a laissé derrière elle qu’un inquiétant souvenir… un souvenir qui attend patiemment le retour en force de ce cauchemar ; le retour en surface de ce monstre tapi au fond de ses propres abysses ; ce monstre qui nous habite depuis toujours, depuis que l’espèce s’est faite humaine, un jour de grande folie qui a confondu la nature et l’esprit pour la faire se tenir debout, et partir à la conquête de l’immensité du monde qui s’offrait à ses yeux.

C’était avant la civilisation moderne.

Depuis, un définitif suicide collectif annoncé se fait attendre.

*

Trouver le temps à l’exécution de mon calme - Il va me le falloir. Le trouver pour un dernier plaisir purement égoïste. Extraire le suc de ma vie comme on extrait la mélasse de l’existence… Avant, bien avant que l’apocalypse ne revienne hanter mes jours et s’emparer de mes nuits, avant de vérifier l’hypothèse selon laquelle l’abominable expansion du délire qui se répand sur le monde, n’ensevelisse à jamais les volontés les plus vindicatives, tel un tsunami incorruptible qui vient dans une rage féroce engloutir nos chétives embarcations de chair, engorgées d’os et de sang. Ces chétives embarcations, dont la plupart ne savent que juger plutôt qu’admirer, énoncer des sentences plutôt que respirer la liberté, imposer des croyances plutôt que se reconnaître. Hélas ! leurs hypothèses sentencieuses, que recouvre, leur morale d’eunuque, transforment tout en malheur. Leur bonheur aseptisé fait jacasser d’hypocrisie les grenouilles de bénitier, et empoisonne l’esprit de la jeunesse avec un breuvage de naïveté.

Expulser son âme comme on défèque ; accoucher d’un vide béant ; puits insatiable… Vide insondable dans lequel on s’oblige à vomir nos bien tristes vertiges… Avortement d’une évasion… Etrange plaisir ; un ailleurs qui ne mène nulle part, précipité du trou béant de nos désirs sexuels… Mais, par quelle étrange fermeté, un précipice engloutirait-il l’échafaudage qui nous sert de squelette ? Tour de passe-passe de la vie ; on croit s’ancrer, et le fer nous attire par les fonds. On garde malgré tout une lueur d’espoir parce que l’on reste certain de quelque chose, un quelque chose que l’on ne sait même pas nommer, mais que notre carapace protège avec une fermeté d’étranglé.

On cherche une réponse ; une réponse qui reste ridicule mais rassurante. Nos âmes précaires se plient volontiers à l’assurance d’une réponse, même ridicule, même irréelle. Il suffit d’y croire. Une petite réponse que chacun s’évertue à ignorer pour lui-même, confondant l’emprise de l’égoïsme avec la force de son Être. Transposer l’ego qui nous distingue vers l’égoïsme qui nous avilit. Cette petite morale bien mise sous tous rapports, et que l'on dresse triomphalement comme un tabernacle contre les forces obscures dont s’est emparées notre âme, pour se résigner à saliver devant la vie éblouissante qui s’affiche partout comme le modèle unique qu’il faut respecter, alors qu’elle est aussi insaisissable que le décor d’une pièce de théâtre, sitôt le rideau tombé.

Devrais-je me permettre d’apporter ma réponse, vous entretenir de vos chiffons rapiécés… ? Le faire en prenant soi comme point central puisque c’est de chacun dont il s’agit. Chacun comme élément central d’un cercle imaginaire… Se dire, afin de ne parler des autres qu’au singulier personnel. Après tout, c’est quoi « les autres… » ? De qui s’agit-il ? On est bien tenté de l’ignorer, déjà parce qu’on ne les ressent pas, ou si peu, ou si mal. Les autres, c’est une convoitise ou un cauchemar, mais jamais de la générosité. Chacun est trop disposé à se formater dans le dispositif admis comme seul référentiel positif, pour prêter un quelconque regard ostensiblement sérieux sur la vie. Il faut nommer l’autre dans un singulier absolu, ou s’ignorer soi-même.

Se mettre en présence… Voilà un sujet qui ne manque pas de m’intéresser, pour la raison que parler de soi, même lorsqu’on en dit rien de plaisant, est plus efficace que de s’évertuer à se débattre dans les circonvolutions marécageuses d’une espèce humaine en voie d’extinction. Mettre sa personne en présence : lieux communs perdus dans le labyrinthe d’une misère qui a égaré jusqu’à son nom, parce qu’il n’est pas possible de la nommer, face à l’indicible horreur qui nous est servie sur l’écran cathodique de la pensée catholique. La misère est devenue clandestine, entre des chiottes et une salle d’attente aux murs jaunis par l’urine…

Une absence de plomb au regard translucide… Je veux m’exister. C’est la réalité que mes yeux observent sans admirer, et que ma main caresse sans accaparer. Juste, tout juste n’effectuer qu’un vague effleurement… Pour le plaisir d’une arabesque sensuelle… Me voilà avec ces idées qui me consument… Le bout rouge d’une allumette prêt à éclater pour un orgasme d’accouplement. S’unir pour jouir. Sentir la chaleur insatiable de la pénétration d’une viande offerte… Et s’endormir de lassitude.

Je traverse des wagons dont j’ignore jusqu’à l’existence, alors qu’il s’agit d’arrêter le train. Chercher. Chercher une existence inconnue qui se trouve sans doute nulle part. Je la perçois dans un cercueil blanc, sur le fluide houleux qui serpente  entre des milliers de mains inépuisées. Penser à soi pour de nouvelles actions. Mais, chaque fois, je suis interrompu par un monde d’obstacles crachant son venin et sa torture dans ma carapace ; et ça me saigne les tripes ; et ça me saigne la viande, dans un sourire de dépression. Rien n’y fait, alors ma chair froissée rend sa raison à sa passion, et glisse sur le tranchant de la vie dans une tache de sang qui fait floc, floc, floc, au goutte-à-goutte…

Dans ces moments, tout s’effrite. Pourtant, ce ne sont que des moments ordinaires, des moments à faire pleurer les tortues. Mais ça craque de partout. Les limites disparaissent, les bornes fictives se déplacent dans un coassement qui annonce l’orage, en attendant un déluge de feu apocalyptique.

Dans ce mouvement de déplacé, le ciment des certitudes les plus vigoureuses se broie ; mes os se chevauchent, ma peau se plie. C’est dans ces moments qu’apparaît à ma conscience, l’impression dure comme un roc que, pour être capable d’enfanter des étoiles dansantes sous des pluies acides, il faut avoir la chair à vif plantée dans un cœur d’acier.

C’est d’un de ces moments, tranchant comme le destin, que tout a vraiment commencé. En fait, tout a commencé par une expulsion à la manière d’une déjection : ma naissance. L’instant d’après : plus rien. Puis, soudainement, un jour approximatif, un bruit sourd a claqué, un bruit sourd et contondant, sec et sale comme un coup de lasso fendant l’air d’un claquement d’éclair. Et ma tête est apparue. C’est à l’intérieur de moi. Un bruit dissonant qui divague entre mes tempes en hurlant des histoires irréelles, comme des clapotis lancinants, par myriades, voilent la surface d’un lac épais en prévision d’un tsunami. Un vent cristallin bruisse l’air coagulé de ce passé décomposé. Souvenirs, tous plus étrangers les uns des autres, totalement inconnus, aussi loin que je fouille dans les entrailles de mon passé incertain. Souvenirs mélangés qui s’entrechoquent et se chevauchent. On dirait des mots en forme d’idées concassées, éclatées contre la paroi sexuelle qu’on déguste parfois entre des cuisses océaniques, lorsque le temps fait place à la volupté. Ca ressemble à l’amour, mais ce n’est pas de l’amour. L’amour, c’est autre chose. C’est un sentiment fluide qui nocturne l’esprit et rougit les sexes. L’amour, c’est ce qui peint la vie en jaune soleil. Amour suave en liberté moite. C’est trop loin pour être de l’amour. Et pourtant, c’est ainsi que tout a commencé.

Devrais-je accentuer mes souvenirs restant ; triturer mes morceaux choisis jusqu’à en extirper leur secret ? Gerber sur ce monde de ténèbres qui transperce ma peau de ses aiguillons de pluie, délicats et fins, jusqu’aux os ; des morceaux d’amour à en faire crever mes nuits sans fin de débris de cristal.

Depuis toujours, j’ai le sentiment que personne n’existe sans mes yeux singuliers. Qui pourrait exister en dehors de moi, je veux dire, hors du champ de mes excroissances sensibles ? Nous vivons tous, à des degrés divers, dans un vaste champ d’illusions qui humilie ou enorgueillit, qui amoindrit ou fait se gonfler de flagornerie, alors qu’il n’y a rien au-delà de soi. C’est en vain que l’on recherche les charmes d’un séducteur. Il n’y a que soi, en soi, qui ronge les organes de la concupiscence; et nul autre. L’autre, c’est soi vu de l’extérieur ; soi, c’est l’autre vu de l’intérieur. L’autre, cet être étrange qui n’appartient qu’à soi. Comment penser autrement sans se nier aussitôt. Piètre consolation ; furtif édulcorant… Posez-vous donc la question de savoir qui est cet autre que vous désignez en dehors de vous. Dans quel rapport à ce que l’on entend bien maladroitement par vrai, peut-on situer ce champ toxique ? Quelle sorte de vérité y a-t-il dans son rapport à l’autre ?

La seule réponse possible est de nature vénérienne.

Un instant. Un instant viscéral, attaché à nos croyances vénéneuses. C’est sans importance. C’est ce que l’on dit, comme pour quelque chose qui n’a pas d’effet. Et les effets sont catastrophiques. Ce n’est pas seulement un instant qu’une caméra fixe dans un œil, mais une balafre tracée avec la lame du mépris. On y ajoute des odeurs-marécages. Et on attend. Attendre. On passe beaucoup de temps à attendre. On attend jusqu’à ce que les chairs englouties creusent la cambrure de son propre espace virtuel. Et ainsi, on annonce triomphalement notre état d’indépendance. On n’ira pas jusqu’à oser parler d’insoumission. Même l’illusion est limitée à sa dose prescrite. Contour sinueux ; arabesques putréfiées. C’est un point de fixation de la réalité qui déchire l’espace dans un inutile cri inaudible. Dans l’espace, personne ne peut vous entendre.

C’est un lieu tout à fait ordinaire, jonché d’un lit vermoulu, d’une armoire poussiéreuse, et de quelques livres inutilement conservés, bien que décoratifs. Slips crasseux ; chaussettes odorantes et trouées. Rien de plus conventionnel, en somme. C’est chez moi ; c’est l’espace cradingue où j’habite ; celui de mes aisances ; plus grand qu’un chiotte ; même fonction ; mes empreintes digitales en font foi. Qui devrais-je inviter dans de telles circonstances… Il faut se débarrasser des oripeaux de la vieille raison pour se glisser ainsi sur ce sol jonché de désillusions. Mais, c'est le seul remède viable qui vaccine à jamais contre l'orgueil. Et il n’y en a pas d’autre. On comprend alors pourquoi l’orgueil est la chose du monde la mieux partagée.

Dans ces conditions, l’existence est ce qu’il y a de plus secrètement  éloigné de tout. C’est la nature même de l’existence, de n’apparaître que fort peu, sinon de n’être rien qu’une traînée qui arpente le trottoir de son objectivité. Dire « j’existe » ne suffit pas pour vivre. Il y faut quelque chose de plus ; quelque chose qu’ignore le gueux, trop occupé à se nier, et qu’il est seul, pourtant, à saisir dans toute l’étendu de sa nudité, parce qu’il passe son temps à se nier. Ce quelque chose de plus qui est en trop, parce que c’est dans l’excès de possession qu’il arrive qu’exister prenne du sens. Prendre possession de sa vie, comme un inutile trop-plein semblable à un orgasme  : l’orgasme de la vie. Mais, à défaut de vie, c’est sa négation dont veut s’emparer l’étroitesse d’esprit qui se transmet de sang en sang contaminé. Vous n’en êtes pas convaincu ? Alors, pourquoi aimez-vous l’argent au point d’éprouver un désir de meurtre pour vous en emparer ? Au point d’échanger votre ardeur à remplir vos sens, en échange du joug qu’impose le travail ? L’amour à mort pour vivre sa vie de captif en liberté. Non une liberté surveillée ; mais une liberté limitée, limitée au champ de sa captivité. Singulière existence qui s’affirme dans cet étroit corridor, passage obligé qui nous réduit à l’égal d’un étron. C’est l’état de l’existence moderne, pour laquelle la vie est un projet que le travail, par sa nature, soumet à sa loi.

Nous possédons trop de ce trop peu de réalité. Même celui qui n’a rien, possède encore trop de ce rien. Il va jusqu'à s’y complaire et s’y abriter. C’est sa grille de métro, coincé entre la merde de son clébard et l’odeur d’urine des compagnons de sa misère ; des loques au ventre mou qui occupent ce lieu d’aisance comme un propriétaire venant de signer un acte notarial chez un huissier. Comme tout le monde, c’est dans l’arrière-cour de ce genre de déchet que j’ai découvert l’existence ; tout ce qu’elle contient. J’ai ouvert le couvercle, précipitant tous les monstres de l’âme humaine au-dehors. De là, naturellement, il m’a fallu tout découvrir ; sans l’appui d’aucun guide ; me débrouiller avec la compréhension que j’en tirais. Les contresens avec les choses obligatoires d’une vie de principes, n’ont pas manqué de se dresser, prêtes à frapper, à censurer, à juguler… Le temps s’était réduit à sa vitesse de rattrapage. Découvrir Christophe Colomb en même temps que l’odeur suave de l’entrecuisse d’amies de passage, accoudé au parapet de l’urgence, et la droiture des relations lorsque son défaut provoque des catastrophes, des petites catastrophes, à l’échelle de mon inexistence, aussi importantes qu’un tremblement de terre là où pour d’autres, il n’y aurait eu qu’insignifiance de battements d’ailes de papillons, voilà qui invite à cerner vite l’essentiel dans le brouhaha des détails de l’histoire de chacun, noyé dans le capharnaüm de l’Histoire impériale. 

L’amitié!

C’est quelque chose de plus exigeant que ne l’imagine l’ordinaire entendement, l’amitié ! Ca peut se briser sous le poids d’une contrariété insurmontable, ouvrant une blessure souterraine qui ne cicatrise pas. Mais, c’est trop souvent de trahison et d’oubli dont s'inscrit son parcours ; de sang aussi, parfois. Amitié. Il arrive à ce mot d’être trop grand pour nos exigences d’anorexique. Nous sommes trop habitués à la sécheresse de l’indifférence, et aux chamailleries de pacotille. Une vie de vaudeville. Quelle mauvaise habitude…

Bouffer la poussière du malheur, et s’en satisfaire, parce qu’un définitif destin s’est imposé à nos yeux myopes devant un mur de sable infranchissable ; un mur de grains, déposés un à un, minutieusement, jusqu’à devenir une impossible barrière, une forteresse…Mais, à quoi bon une si puissante forteresse, sinon pour y cacher l’enfer ; son enfer personnel, celui que personne ne doit pas même soupçonner sans risquer d’en être effrayé. Le secret des familles, enfui dans l’inconscient collectif d'un quelconque patrimoine. Le deuil efface le sort. Et le mariage excuse l’ignorance.

La misère, à défaut d’éblouir, force à grandir vite, ou à rester blotti contre le sein de l’autorité. Au choix : l’affranchissement ou la police. Ca forme des êtres de caractère, ou des petits hommes. Il n’y a pas d’entre deux. J’ai fait le choix de grandir vite. Plus vite que je ne l’aurais espéré lorsque l’âge m’autorisait la réflexion, mais non la disparition. C’est pourquoi j’ai dû patienter. J’ai alors découvert la faculté étrange de vieillir plus vite que l’âge ingrat, défini par les censeurs, ne le permettait. Jouer au sexe interdit marque les esprits plus sûrement qu’un cours de sexologie. Parcours inévitable d’un destin ordinaire, c’est par le sexe mâle que j’ai commencé à me distraire d’une vie qui ne tenait déjà plus toutes ses promesses, à l’âge où le bas-ventre se manifeste sans aucune équivoque, dans une époque où le sexe était tout autant interdit que plus tard, lorsque les temps ont porté sa libération au sommet des illusions.

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