Reçu le mardi 07 avril 2020 ENTENDRE LE LOUP QUI VIENT Hier
soir, j’ai vu le loup. Pas comme le voyaient autrefois les demoiselles
trop curieuses, non. Nous avons changé tout ça. D’ailleurs, je ne l’ai
pas vu. Je l’ai entendu. Ou plutôt je les ai entendus, car ils étaient
au moins deux, voire trois ou quatre. C’est la première fois, en ce qui
me concerne, et je ne crois pas qu’il aient jamais jusqu’ici donné un
tel concert dans la Vallée. C’était à 9h du soir, sous les 2.500 m du
Chapeau de Gendarme, autant dire sous le nez des gendarmes, en haut de
la forêt de Gaudissard, à deux kilomètres, des hurlements un peu
étouffés et relativement courts, mais parfaitement audibles et
instantanément reconnaissables. Une première fois beaucoup plus
impressionnante que je ne l’eusse cru. Après tout, je connais bien par
de nombreux enregistrements le chant du loup, et, joli petit talent de
société, je l’imite passablement, aussi bien que le ululement de la
hulotte et quelques autres cris d’animaux, dont le chien, la poule, le
mouton, le cheval ; mais, va savoir pourquoi, ni la chèvre ni l’âne… Je
suis infoutu de braire, malgré de nombreuses tentatives. Passons sur mes talents d’imitateur, le fait est que j’ai été secoué par ces hurlements totalement inattendus. À la fois ravi et effrayé. Oui, il m’est venu une sorte de frisson antédiluvien, monté du fond d’un inconscient collectif jusqu’alors enfoui sous mes lectures et mes rencontres avec le loup roumain d’un ami, un mastard bien plus grand que nos loups italiens, très impressionnant mais on ne peut plus amical. On peut gérer le regard, et même celui du loup, si insondable, mais le son, c’est une autre histoire, ça rentre comme dans du beurre, jusqu’au tréfonds ! C’était beau et sauvage, comme l’annonce d’un inexorable retour à l’envoyeur, d’un backlash venant compléter en boomerang l’irruption du Virus Exterminateur. Je suis resté six ou sept minutes, un temps fou, à écouter leurs échanges fracasser l’illusion sécuritaire de notre petite ville. Oui, pas de doute, pandémie aidant, les loups se rapprochent, ils nous cernent. On pourrait se dire qu'on va se réfugier dans la grande ville, et que là, ils ne nous atteindront pas. L'ennui, c'est que les loups sont déjà dans la cité. Mieux, ils la gouvernent. Ceci n'est pas un poisson d'avril. Les loups à deux pattes sont à l'œuvre, et s'ils font moins peur que les vrais, ils sont, comme nous n'arrêtons pas de le constater à nos dépens, autrement dangereux. © Alain SAGAULT, le 01 avril 2020 ; son blog : Le globe de l'homme moyen |