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- Eh bien ! mon vieux ! … Tu m'apprendras le coup pour se faire essuyer comme ça ! - Fous-toi de ma gueule, c'est le moment ! - Comment tu… - Attends ! le comment, ils vont te l'expliquer, eux… Francis, à peine debout, à peine débâillonné, montre l'entrée de la cour : un groupe d'hommes accourent, peu amènes. Le gros moustachu du Malvidi est avec eux. - T'as compris, maintenant ? Prépare ton râble : ça risque d'être chaud ! - Que veulent, ces gredins ? - Je l'ignore… Mines patibulaires, bedons et bâtons en avant, leurs visiteurs tentent de pénétrer ; mais ils n'y parviennent guère : nos deux amis les en empêchent vivement, à coups de prises et savate. Dans l'étroite ouverture, l'avantage du nombre se réduit, il est bientôt nul. La place dégagée, Francis et Tom se déhalent ; le premier repassant ses effets dare-dare. Leur adversaires, une bonne demi-douzaine, ont pris du gîte et peinent à respirer…
De retour dans la cour, devant le Malvidi, une surprise de taille les attend, une de vraiment malencontreuse pour eux, pressés de partir sans délai. La voiture a disparu, et dans l'espace sous les platanes, il ne reste qu'un petit groupe de personnes âgées. Ils sont dans le pétrin, et le soleil ne laisse qu'un albédo dans les nuages, comme pour donner un dernier sursis avant la nuit. Tom grommelle, Francis est plus flegmatique. - Manquait plus que cela ! J'ai bien vu de drôles de zouaves, tout à l'heure, mais ils étaient partis avant que je me mette à ta recherche. - Cherche plus justement : j'ai plus les clefs… Francis sort les mains de ses poches qu'il triturait : - Et il ne faut pas demander où elles sont ! J'ai pas pris le temps de vérifier… - Tu veux qu'on retourne là-bas ? Francis décline l'offre d'un geste désabusé ; puis, suggestif, laisse tomber : - À quoi bon ? - Quoi ? Tu crois ! Les filles ? … Francis acquiesce. - Ah ! ça, c'est ce qui s'appelle se faire essuyer, alors ! Et tes papiers, ton oseille ? - Plus rien, je te dis ! on est marron… - Ah ! les salopes ! Il faut que tu m'expliques… - Tout à l'heure, l'explication de texte ! Pour le moment, trouvons un moyen de nous barrer au plus vite : je la sens mal ici !
Ils abordent les derniers clients et confient, sans détours, leurs mésaventures. Ils déduisent une complicité du personnel, ici, en partie au moins, et Francis conclut par la nécessité de déposer plainte au plus tôt, au plus près. Ils ont de la chance de convaincre assez vite de leur sincérité et décident les autres, à leur servir de coche. Le « repli » s'effectue en bon ordre. Dans la voiture qui les emmène vers la gendarmerie, Francis prévient ses parents au moyen d'un téléphone portable. - … Quelle histoire ! Tu t'es arrêté à l'Auberge rouge ou quoi, mon fils !…
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- D'où venez-vous ? L'adjudant lisse son guidon de vélo, y plante comme une défense son stylo. Il a l'air d'un morse, l'œil torve. Tom et Francis se regardent, interloqués : l'accueil laisse à désirer ! Pour un peu… - Je vous ai posé une question. - Nous revenons d'un voyage en Grèce. - Grèce ? Hum ! Il y en a qui ont de la chance… En voiture ? - Exactement : la Mercedes qu'on m'a volée. - Oui, je vois… Et vous n'avez pas les papiers, dites-vous ? - Évidemment, on m'a volé aussi mon porte-feuille, avec ce qu'il contenait, et les clefs dudit véhicule. - Sale histoire ! Nous allons voir cela. Mais il y a une embrouille : monsieur Crépier, propriétaire du Malvidi, vient justement de m'appeler, il a l'intention de porter plainte, lui aussi, comprenez-vous ? - Ah ! non, pas très bien… - pourquoi au juste ? - En résumé : pour agression, détérioration de biens et tentative de viol. - Hein ? - Inutile de préciser qui, il charge, je suppose ? Tom et Francis se lèvent en chœur, bousculant leurs chaises, traits révulsés, ulcérés. - Du calme ! …
Toujours est-il, les gendarmes peinent à croire leur histoire. Comme aucun témoin direct ne peut conforter la version des deux amis, elle est sujette à caution, en butte à celles des compères affidés qu'ils ont rossés. Un moment pénible s'ensuit, où leurs déclarations sont passés au scanner ; vient enfin, la confrontation. Chacun campe sur ses positions et s'invective. Heureusement, les gendarmes tranchent dans le vif, grondent et menacent plus fort. En leur « palace », ils gardent la main haute sur les débats. Ils finissent par isoler chaque protagoniste dans une pièce et les procès-verbaux, respectifs, sont établis. Nos deux amis pâtissent de l'équivoque. Cependant, la disparition des filles leur sauve un peu la mise : il s'agit des filles du patron : le nommé Crépier, le gros moustachu du bar. Ses filles se sont absentées, soi-disant, et elles sont impossibles à joindre, « choquées, pour sûr ! » : dit-il … Bizarre ! les gendarmes restent perplexes. Ils aimeraient bien auditionner ces « victimes » au plus tôt, en ce qui concerne le plus grave délit. En attendant, Francis et Tom peuvent rentrer à leur domicile. Ils devront rester sur le territoire français et répondre à la première convocation.
Le père de Francis vient les chercher alors qu'ils sont bien déboussolés par toute cette cuisine. - Si cela se trouve, c'est un trafic scandaleux, cette affaire. On détourne votre attention et, ni vu ni connu, on vous vole la voiture, parce que vous transportiez à votre insu, un pactole : de la drogue, des diamants, par exemple ! - Ha ! ha ! tu es un bon scénariste, papa ! Je te reconnais bien là. - En tout cas, j'espère qu'on ne va pas terminer comme le héros de Midnight Express : dans un cul de bas de fosse ! - Toi, tu vois toujours la vie en rose ! Je te prédis que ces fourbes et ces malfrats seront percés à jour, il n'y a pas de raison…
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Quelques jours après, le bon monsieur Crépier reçoit une communication, en provenance d'une ville du Midi, et il gouaille, plus fort que lui, sans se douter qu'il partage sa ligne avec de « grandes oreilles » ou sous-estimant le danger : - … Alors, Fincato, ce nouveau bourrin : il tricote extra, comme prévu ? - Te bile pas, Frédo, c'est un crack ! Avec lui, on va au triomphe ! À propos, comme j'ai bien fourgué le cab, les drôlesses ont eu du rab, elles sont parties piquer une tête aux Baléares et t'envoient le bonjour…
© Jean-Jacques REY, 1999
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