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illustration de la biche


PETIT CONTE DE LA CREATION

- 2010 -



    Dans ce château-là, au fond des bois, la biche allait au pas. Rien n’est moins sûr, moins disant que les fantômes qui montent de la terre, accrochés aux arbres, laissant des soupentes où s’attardent, les premiers rayons du soleil. La biche allait au pas, l’œil aux aguets. Qui pouvait venir, tapis dans l’ombre des fourrés, lui serrer la gorge, nul ne le sait. Mais quand bien même le saurait-on, pouvait-on prévoir son attaque ?

Derrière ces murs, tout un aréopage pendaient en grappes et s’envolaient la nuit, faire des ravages comme les vendanges de sang… Le savait-on, dans les hautes tours de cristal des savants fous qui faisaient tourner le monde ? Enfin, ce monde-là qui s’accrochait aux pentes du volcan qui dominait la jungle qui recouvrait toutes les traces d’anciennes civilisations. Et qui le voudra et qui le croira ?

C’est pas le temps de le dire, un égoïsme pesant tisonnait cette époque. On laissait mourir les faibles et les âmes trop sensibles. Il n’y avait pas de lieu pour les biches au ventre de velours ou les oiseaux échappés de leurs cages. Derrière les murs, on faisait les niches, et on pensait aux mordus de faim qui possédaient moins de chance…

La biche marchait au pas, elle n’avait d’ailes que dans ses rêves et pourtant c’était mieux que les troncs creux qui la voyaient passer. Ceux-là recevaient les idées de ce siècle, portées par le vent de folie, en restant sur place… Dans ce château aux apparences de feuillages, circulait le pire des ennemis ; celui qu’on ne voit jamais ; parce que les couturiers céans le rendent invisible comme les on-dit l’habillent d’invraisemblances. Ce sont tous les feux de l’imagination qui nous la font voir en vrai, l’hideuse bête qui suce le sang de ses semblables.

Les aigles qui dominent la forêt ont plus d’honneur que ces vampires qui fuient la lumière du jour et se pendent aux végétations. L’âme humaine est riche, elle en sème en pagaille de ces végétations où se cachent, les êtres sordides qui évacuent le jour ce qu’ils ont bu la nuit.

La proie était tentante et ils attaquèrent. Encore parce qu’ils croyaient avoir le dessus sur l’innocence, bête qui passait dessous… La biche ne dut son salut qu’à la fuite et fut véloce. Mais toujours fuir pour aller où ?

*

    Le volcan qui accrochait les attentions n’avait qu’un œil mais le bon. Celui-là ne s’allumait que par moment pour déverser alors tout le feu des étincelles qui font le monde. Car le monde, enfin celui-là, est d’abord une charpente de lave qui coule d’un cratère pour aller se répandre dans la Mer. C’est toujours l’horizon des fumées qui fait le jour… Alors, cette question de savoir qu’on ne savait rien, même les savants, surtout ceux de ces tours de cristal, ne se la posaient jamais. Eux, ils n’étaient pas innocents, ils étaient innocentés ! Le problème est qu’à chaque explosion, tout le monde est coupable ! …

Pourquoi tout ce charabia, me direz-vous ? Que tout explose et on recommencera tout … Et ce tout : recommencé à zéro, alors ? Peu importe, là n’est pas la question, il faut s’adapter, chanterez-vous ! Et je réponds : à quoi, puisqu’on dérègle aussitôt ? Mais la question, vous n’y répondez pas… Où ira, la biche, si tout le monde se met en feu sous l’œil du volcan ? Y-a-t-il un pompier dans la Mer ? …

Hé bien ! je vais vous le dire : il n’y en a pas. Le monde en feu est fou, il l’est encore plus quand tout le monde se met à boire le sang des innocents, il devient correctement impensable quand des savants fous se mêlent de vouloir le faire tourner. Ce n’est plus tourner en rond, qu’ils font, mais promener dans le néant ; et alors ; les vampires deviennent des girouettes en apesanteur ! …

Quant à la biche, que deviendrait-elle, alors ? Me direz-vous, malicieux. Mais la biche, elle n’est jamais que dans votre imagination, laissez-la fuir ! Pour allez où ? Clamerez-vous !

Mais, imbéciles, dans l’œil du volcan, n’avez-vous pas compris à la fin ! Le feu détruit tout sauf l’imagination, il la nourrit. Mais pourquoi ce feu, pourquoi ce volcan ? me direz-vous encore, lestés dans vos grands sabots.

Hé bien ! j’ai la réponse, mais vous devez l’avoir aussi. Si ce volcan et son œil n’existaient pas, serions-nous là en train de nous poser ce genre de questions à considérations ?

Le monde est fou, mais encore plus fou, c’est qu’il a réponse à tout, et si peu s’en aperçoivent… C’est pour cela qu’on a inventé les dieux, qui ont au moins un mérite, celui de montrer nos limites, et là, tout est dit, replongez dans le volcan et laissez-vous guider vers la Mer. Bonne chance !


© Jean-Jacques REY, 2010



illustration du feu de la création



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