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FEUILLE D’AFRIQUE


-2012-
Victoire, à la Vie


          L’été touchait à sa fin. Les collègues avaient repris le travail, les voisins aussi, les mômes repassaient en braillant dans la rue. On était au cœur d’un phénomène habituel sinon naturel : les colonnes de fourmis humaines reprenaient leur noria pour alimenter les « dieux » tout puissants du Marché… Il fallait bosser, consommer, en chier des bulles et tapisser en  toc, de toutes couleurs, pour les banquiers et l’industrie. C’était ça vivre en société… Il y aurait bientôt l’arbre de Noël, les guirlandes au balcon, pour se récompenser de ses peines les derniers mois, etc. Alléluia ! Un peu vite comme raccourci, n’est-ce pas ?
          Pourtant Fabien, en se détournant de la fenêtre y songeait, il prit un air dégoûté. Il en prenait souvent ainsi ces derniers temps et gaspillait de l’énergie mentale. Sa sœur Elodie s’en amusait. Il prenait toujours trop au pied de la lettre et les états d’âme qui suivaient, ne servaient à rien ; alors il moulinait… Autant rester quitte sur son séant !
     - Dis-moi, n’as-tu pas envie de bouger ?
     - Pourquoi faire et pour aller où ?
     - Hé bien ! je me disais qu’on a mieux à faire que regarder passer les poissons vers le filet…
     - Pas une mauvaise idée, mais as-tu trouvé mieux que d’aller à la pêche ?
Fabien accompagna sa répartie en tournant la tête vers elle, Elodie arrivait toujours à le dérider.
     - J’étais en train de lire l’autre soir, sur le Net, un article à défriser les amateurs de potion magique.
     - Sans blague ! Raconte…

*

          Après leur petite discussion, Elodie et Fabien avaient projeté un énième voyage : il s’agissait cette fois de monter une expédition pour trouver une feuille de plante aux vertus extraordinaires. Evidemment, ça n’allait pas sans mal vu l’état de leurs finances. Mais d’en parler ne coûtait rien. Alors la grande ville qu’ils n’appréciaient guère, mais où ils revenaient souvent, allait leur offrir des ressources…

          Histoire de ne pas trop se prendre le chou pour constituer un minimum de base et faire le voyage, ils montèrent d’abord des dossiers pour se faire embaucher dans une société de services qui fournissait des auxiliaires de vie à des petits vieux. Les tâches allaient des ménages aux courses dans les magasins en passant par le menu bricolage. Evidement, ça payait peu, mais cela suffisait pour maintenir une couverture sociale et s’acquitter du loyer. C’était à la mode pour des jeunes comme eux de ramer dans la précarité : presque un passage obligé où on laissait ses diplômes aux vestiaires, pour trois images dans le porte-feuille que tout le monde adulait –ou presque– pour faire plaisir aux banquiers qui n’arrêtaient pas de se remplir les poches, en profitant de la « confiance » ainsi créée, qui leur permettait de vendre du vent pour des kilos de merde, et pas simplement en pur symbole de pensée ! … Et la plupart des gens disaient oui, certains d’être plus intelligents que les autres, roulant son train de vie et montrant ses dernières acquisitions achetées à crédit… Quand même, ils auraient bien eu tort, les banquiers, de ne pas profiter de toute cette ignorance crasse que certains ne demandaient qu’à tartiner ! Ainsi va le monde dans l’idolâtrie qui fait tourner les têtes comme des boules dans un flipper.

          Après quelques mois passés à accompagner les restes de vie, ils songèrent à monter leur voyage. Il ne fallait pas en rajouter dans la grisaille des mornes plaines… Et ce qu’en disait, l’actualité, propre à divertir, ne pesait rien dans leur décision, ils étaient prêts, c’est tout. Cela se saurait bien un jour, quand les « chiens de garde » auraient bouffé leurs mégots, beaucoup partaient comme eux ou étaient déjà partis : les jeunes foutaient le camp, oui, monsieur, le pays ne les nourrissait plus et mieux, ne les retenait pas ; ainsi il se vidait comme les petits vieux qu’on portait au trou, parce qu’ils ne se levaient plus… C’était une drôle d’époque, chère madame, un pays qui avait voulu jouer le phare des lumières et qui éteignait lentement sa lanterne parce qu’on n’y voyait plus clair ! …

          Elodie et Fabien s’envolèrent un jour de Mardi gras, glacial, sans regrets et même impatients. Quelques heures après, ils se posèrent en Afrique équatoriale, fondant dans la touffeur après s’être gelés les miches dans les courants d’air. Il leur fallu ensuite monter à bord, successivement, de trois avions, pour gagner le lieu ciblé, et le dernier  leur avait donné la chair de poule tant il ressemblait à un survivant de la deuxième Guerre mondiale. Enfin, ils y étaient, reprenant souffle, assis au bord d’un lac, au milieu de forêts denses à perte de vue.

*

          La plante magique croissait dans les parages, mais pas en quantité extraordinaire dans cette région de grands lacs ; d’ailleurs ce n’était pas une culture commerciale ; quant à rentrer dans l’alimentation ou même et surtout la pharmacopée, il fallait en connaître les vertus. Le frère et la sœur avaient bien leurs renseignements, de type encyclopédique, mais ils n’avaient jamais vu en vrai cette plante dans son milieu naturel, autrement qu’en photo et en gros plan. Ici, imaginez, ils étaient dans une fameuse toison de l’écoumène, où chercher au hasard, même avec une représentation exacte sous les yeux, pouvait ressembler au jeu de l’oie… Et cela pouvait aussi être très dangereux, bien plus que les jeux de piste dans les campagnes françaises. Aussi, c’est évident, ils avaient besoin d’un guide et ils l’avaient prévu ; rester à le trouver dans le tissu local, sans se faire prendre pour des « jambons-beurre » de Paris ! Car même s’ils n’étaient pas déguisés en croqueurs de safari, ils pouvaient difficilement passer pour des habitués du coin. Et puis, au début de l’entreprise, mieux valait rester discret sur leurs intentions pour mieux s’adapter aux imprévus et modifier leurs plans éventuellement ; dans une consécution, ils préféraient ainsi éviter les zones de chalandise et les aires d’ONG où se produisaient quelques européens…

          En fait ils eurent un peu de chance, en prenant la peine de s’intéresser à des gamins qui s’étaient accroupis près d’eux, les yeux brillants. Ce n’était pas difficile de lier connaissance avec eux, car ces gamins étaient curieux, plein de gentillesse, et la première invitation enjouée d’Elodie et Fabien fut couronnée de succès. En partageant quelques biscuits, ils apprirent qu’une école se trouvait à côté. Et déjà, un maître d’école, ce n’était pas si mal, si on savait s’y prendre avec lui, pour explorer les possibilités de renseignements autour et trouver des personnes ressources qui n’auraient pas nécessairement été disponibles en d’autres circonstances.

          C’est ainsi que de fil en aiguille, ils rencontrèrent le « grand-père blanc » : Blanchet de son patronyme, qui s’était établi dans le coin, et, qui était une sorte d’original en rupture avec le mode de vie occidental. Amoureux de la Nature, il s’était spécialisé dans l’étude de la flore tropicale et il en connaissait un rayon ; d’autant qu’il avait quand même une solide culture scientifique, acquise dans ses jeunes années au sein d’universités prestigieuses sur le « Vieux Continent » et il y avait enseigné.
          Quand le frère et la sœur, orientés et présentés par son vieux pote Alex, l’instit. du coin, débarquèrent chez lui, ils décidèrent, selon infos reçues et au vu de son personnage, de brusquer quelque peu leur tactique d’enrobage et lui confièrent, sans plus de formalité, la raison de leur présence qui n’avait rien à voir avec de vulgaires besoins en sensations fortes, de dépaysement ou je ne sais quoi encore du luxe habituel des charlots de la société de consommation que le père Blanchet détestait. Il eut alors un déclic immédiat. Bonhomme, il leur présenta Gasandji qui connaissait bien la plante en question pour savoir l’apprêter dans l’alimentation comme sa tribu en était coutumière. Le vieux Blanchet avait recueilli et il hébergeait, dans son humble demeure, cette femme d’âge mûr qui s’occupait de l’intendance et du logis, plutôt bien d’après lui. Il l’appelait affectueusement sa doudou, bien qu’elle eût vingt-cinq ans de moins que lui, encore d’après ses dires. Elle était, avec son enfant,  la survivante d’un massacre qui avait eu lieu dans un pays voisin, ravagé par une horrible guerre civile. Plus tard ils apprirent même une chose extraordinaire : que son enfant avait été conçu en préparant une pâte des feuilles de cette plante qu’ils recherchaient. Il n’y avait pas à dire, Elodie et Fabien étaient bien tombés au vif du sujet, vite et sans soucis, du moins pour eux !

*
.../...
 (la suite à la page suivante)




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