Crédit pour cette illustration : "Aquinea". Crédit pour cette illustration : "Tela-Botanica". |
CRASH EN FORÊT VIERGE
-2024- (I) Dans cet univers bleu-vert, ils picoraient comme des oiseaux de mer au bord de la falaise. Il s’élevait quelques pans de murs de ci de là, pris dans la végétation épaisse, vestiges anciens. Nous étions devant un chantier de fouilles -archéologiques-. Il s’agissait d’un temple, je n’aurai pas dit maya, puisque nous étions en Asie, mais dans les mêmes zones tropicales où la Nature est luxuriante. Ce jour-là, le temps était au beau fixe ; aussi quand l’avion arriva, ils levèrent tous la tête pour l’apercevoir, ils n’attendaient personne en particulier et encore moins par la voie des airs. L’avion disparut à leurs yeux qui n’y voyaient guère au-delà des carrés de ciel entre les arbres, son bruit assourdissant s’éloignant vers l’intérieur des terres. Bien peu avaient pu remarquer un léger panache qui se dissolvait aussitôt derrière lui, et encore moins sa taille, il volait trop haut. Ce n’était donc pas pour eux, et ils replongèrent dans leurs occupations. De toute façon, la piste d’atterrissage, tout près d’eux, était trop petite et rudimentaire pour un gros avion, et l’équipe n’avait pas recours aux parachutages. Aussi furent-ils bien surpris quand ils entendirent une explosion au lointain, mais bien distincte. Il y avait Al, le chef d’équipe des accompagnateurs du cru, qui commençait de s’agiter. Il avait autorité aussi bien sur les ouvriers du chantier que les gardes de sécurité. Il vint au-devant du staff des archéologues, après quelques conversations : -
Il faudrait peut-être monter faire une reconnaissance sur les monts et
voir ce qu’il en est. On ne sait jamais, il s’est peut-être crashé, ce
zinc. J’ai deux gars qui me disent avoir vu de la fumée derrière lui,
et moi aussi : une légère trace, un instant… Rémi Thor, qui dirigeait l’expédition scientifique, se gratta sous sa casquette et opina du chef :- Ah ! bon, vous croyez ? - Comme je dis, on ne sait jamais… -
OK ! Peut-être avez-vous raison et mieux vaut s’en assurer. Cela ne
contrariera pas trop nos projets en tout cas, si vous prenez quelques
bonhommes pour ça, pas une éternité quand même ! C’est vous qui décidez… Peu
après, une colonne se mit en marche et s’enfonça dans la jungle. Tout
au plus, étaient-ils une douzaine d’éléments, dont quatre gardes de
sécurité, armés, et Al à leur tête.Dans les scientifiques, il y avait un original, jeune quasiment chauve, qui désirait le plus souvent un certain type de repas à base de fruits de mer, et il entreprenait de fréquentes recherches pour en trouver, se baladant le long de la côte escarpée où grattait, l’expédition. Généralement, c’était en dehors des heures de travail. Il utilisait un ULM pour se rendre plus vite sur place et disposait d’une caméra qui lui servait un peu à tout, entres autres à faire des rushes pour monter un documentaire sur leur chantier de fouilles. Ce gars-là avait de l’antipathie pour Al, le chef d’équipe des accompagnateurs, qui était un ancien militaire, et notre original était plutôt du genre libertaire… Il le soupçonnait en vérité d’être un mercenaire sans scrupules, opportuniste et cupide, et il avait désapprouvé son recrutement. Rémi Thor lui avait rétorqué qu’ils n’avaient guère le choix, vu le manque de candidats à ce poste, dans le pays où il était question de ces fouilles ; et qu’en plus il avait été recommandé par les autorités régionales pour ses compétences et sa connaissance du terrain ; et ; qu’enfin, source d’impondérables, ils étaient dans une région réputée instable sur le plan sécuritaire. Merci, n’en jetez plus ! Donc Joël, notre jeune gars au front dégarni mais qui fulminait bien, avait dû en prendre son parti. Reste qu’il était resté sur sa réserve, prêt à exploiter la moindre occasion de mettre en défaut son coquin et de justifier ainsi ses préventions. (II) La colonne de reconnaissance avançait péniblement dans une forêt vierge, dense, et la montée du relief sur des sentiers étroits, tout au plus, n’arrangeait pas les affaires, mais ils étaient endurcis, et Al secouait les hommes de temps à autre pour les motiver, pas pour faire le chef, il n’en avait pas besoin tant il avait une autorité naturelle ; mais parce qu’il était pressé d’arriver au fait sur la zone supposée d’impact, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’était pas certain, lui-même, d’avancer dans la bonne direction à bon escient, sans parler de malchance… Au bout d’une dizaine d’heures, ils avaient parcouru une distance modeste et il fallu penser à bivouaquer avant la nuit. Cela tombait sous le sens, mieux valait de conserver la boussole en tête et repérer un emplacement propice dans cet enchevêtrement, pendant qu’on y voyait encore assez clair avant de s’étaler. Ils passèrent donc la nuit au repos et sans évènement particulier, à part le concert des bêtes alentours. Ce n’est qu’au matin, après deux heures de progression qu’ils purent entendre un vacarme inhabituel du vivant qui les guida vers un lieu, et en se rapprochant, ils détectèrent assez vite une odeur de brûlé. Ils firent se lever des centaines d’oiseaux et peut-être d’autres charognards à leur arrivée sur les restes visibles d’un crash, épars dans la végétation. Après inspection de divers débris et relevé des corps, Al rassembla l’équipe et lui tint un discours qui, pour être insolite, était autant papelard que comminatoire. Ils s’affairèrent ensuite sur les dépouilles, mais ne restèrent pas longtemps sur place, ne prenant pas la peine de noter des positions précises ni de laisser des gardes, et ainsi les autres « croquemorts », dans la nature sauvage, purent regagner leurs aises… Le retour fut plus rapide que l’aller et ils ne prirent pas la peine de regarder ailleurs que devant leurs pieds, entraînés dans la pente et peut-être plus détendus. Dans la foulée, après avoir rejoint le chantier, Al confia d’un air penaud, qu’ils n’avaient rien trouvé ni pu repérer quelque chose en rapport avec un accident d’avion, cela au grand étonnement des scientifiques et des gens restés avec eux, tous sauf un, je dirai presque évidemment… Le gars Joël n’avait rien dit sur le moment ; d’ailleurs personne ne s’était avisé de la présence de ce solitaire, habitués qu’ils étaient à ses va-et-vient. Pourtant il jubilait presque dans son fond intérieur et il avait maintenant des arguments sérieux pour alimenter un mépris qui était devenu colossal. Et on allait voir qu’il y avait de quoi… Imaginez que Joël, au lieu d’aller faire son ramassage habituel ; ce à quoi avait cru, Al, en le voyant décoller peu après eux mais dans une autre direction, il s’était mis en tête d’aller voir par lui-même s’il y avait lieu de craindre un crash et de ne pas tout confier à la sagacité du contremaître. On peut dire qu’il avait été bien inspiré alors. N’oublions pas qu’il avait un ULM, bien équipé et silencieux qui plus est, puisque doté d’un moteur électrique. Peu après son décollage et sa descente vers le littoral, il était remonté un peu plus loin et rasant la canopée pour tromper d’éventuels observateurs, il avait fait une boucle et pris la direction du supposé accident. Et comme il allait bien plus vite que les marcheurs en forêt, avec l’aide d’instruments de navigation, il avait eu tôt fait de remarquer des fumées et de localiser l’endroit du crash. Après un bref survol, ne voyant aucun signe de vie, incapable d’atterrir et surtout d’apporter un secours constructif, il avait opéré rapidement demi-tour pour rentrer au camp, toujours de manière dissimulée ; mais il avait décidé aussi de garder le silence sur sa découverte, jusqu’au retour de l’expédition commandée par Al : en effet, pas la peine de créer des dissensions inutiles ou d’éveiller des soupçons… Le lendemain après avoir bien rechargé les batteries durant la nuit, utilisant les mêmes subterfuges, il était retourné, quelque peu oppressé, sur les lieux du drame, pour voir si l’expédition terrestre parvenait à cet endroit et ses actions, réactions, éventuelles. Bien camouflé, en vol stationnaire, il avait alors tout vu et filmé les agissements… (III) -
Je vous le dis, c’était sidérant, horrible à voir, je n’en croyais pas
mes yeux, ils ont dépouillé les cadavres, sans aucun égard pour eux, et
les ont laissés à la merci des bêtes sauvages sans plus de soucis. Ils
ont même arraché des bijoux et des montres, en malmenant et démembrant
des corps déjà abimés : un spectacle abject, révoltant, indigne
d’humanité. Quelqu’un de plus impassible dans l’auditoire, demanda à ce point :- Ont-ils récupéré des papiers d’identité au moins ? Ils étaient consternés.- Certainement, en prenant les portefeuilles par exemple… - Mais c’est épouvantable à la fin, tout ça ! Joël montra ensuite les séquences de ses prises de vue aux autres membres de l’équipe scientifique. Ils étaient bien édifiés.- Je suis quand même surpris, comment a-t-il pu imposer cela aux autres ? … Le Al incitait à se questionner sur son individu. - Quoi ? - Le silence, pardi ! Personne n’a moufté après leur retour d’expédition et on n’a rien vu ni entendu… -
Il faut croire qu’il en impose aux autres et il doit avoir des
complicités en haut lieu placées, je n’en serai guère étonné. - J’ai toujours dit qu’il était arrivé à point nommé, avec des références qui correspondaient trop bien au profil recherché : une aubaine en apparence… - Oui, c’est bien vrai quand on y pense. Il fut décidé d’un commun accord d’avertir la police de ce pays d’Asie où ils faisaient leurs fouilles archéologiques ; mais dans la discrétion absolue et en prenant des précautions ; car l’importun et opportuniste, chef des accompagnateurs et ouvriers du chantier, bénéficiant sans doute de sympathies dans les autorités locales, se révélait donc être fourbe voire retors. De ce fait, il était dangereux et on ne pouvait pas prévoir sa réaction, s’il était démasqué publiquement, sans parler de ses acolytes de fortune. D’ailleurs il se montrait de plus en plus cynique et insolent depuis son retour de dépouillement ; ce qui ne faisait rien pour rassurer les scientifiques, et Rémi Thor admettait que son jeune collègue avait bien eu raison de se méfier de lui, quelles qu’en soient les circonstances. En conséquence logique, il fut convenu de trouver un prétexte pour faire rentrer une des leurs, chez les scientifiques, à la ville la plus proche, pour motif familial, sans éveiller de méfiance particulière chez Al qui pouvait toujours craindre une délation. Mais aussitôt qu’il le sut, celui-ci se porta volontaire pour accompagner la jeune femme en arguant de sa sécurité… Coquin de sort ! Comment allait-on solutionner le problème alors ? Il allait falloir imaginer, et le jeune chauve, un tantinet malicieux, s’en chargea. Il créa un incident sur le chantier, assez saugrenu et dérangeant, pour mobiliser l’attention du chef pourri qui accourra pour remettre de l’ordre et s’emmêla conséquemment les pinceaux, au point de se tordre une cheville dans une cavité masquée (pas pour tout le monde)… Aïe ! Et hou ! Que de douleur pour l’un et aléa désopilant pour les autres… Du coup, l’émissaire choisie partit avec d’autres gens pour l’accompagner. Ensuite elle aurait carte blanche pour signaler aux plus hautes autorités et représentants qu’elle pourrait joindre : au minimum une institution fédérale et une ambassade, la déplorable exploitation d’un drame aérien qui n’était pas une disparition. On a su plus tard, après qu’une mission d’enquête et des experts aient été dépêchés sur les lieux du crash, en pleine forêt vierge et assez éloignés des voies aériennes, habituelles, qu’il s’agissait en vérité d’un détournement qui avait mal tourné pour cause mécanique, et comme il n’y avait aucun survivant, on n’a su le fin mot de l’histoire que par Al, membre d’une organisation radicale et illicite, qui s’était mis à table pour sauver sa tête. Ce scélérat avait été chargé de vérifier sur place les traces de catastrophe et de faire disparaître le cas échéant des indices compromettants. Il avait bien salopé la besogne, paraît-il... |