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Photo de Jean SAINT-VIL, avec coeurs sur fond bleu.

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Reçu le lundi 18 mars 2024



EN SOUVENIR DU
PROFESSEUR JEAN SAINT-VIL




Par Dr. Max François MILLIEN



La nouvelle du décès du Professeur Jean Saint-Vil m’est parvenue dans la matinée du samedi 10 février écoulé, en lisant une notice funéraire du comité de direction du Club Toast masters Phare sur les réseaux sociaux, sous la plume d’un de ses membres, l’ingénieur-agronome Talot Bertrand. Pourtant, je m’apprêtais ce jour-là à l’appeler au téléphone car cela faisait déjà une quinzaine de jours depuis que je ne lui avais pas parlé. Depuis environ trois mois, il m’avait confié qu’il ne se faisait aucune illusion sur l’issue de son mal, sur la base des résultats de laboratoire et des avis de ses médecins. Mais, de mon côté, j’espérais qu’il se produirait un quelconque miracle d’autant plus que, durant notre dernière conversation, j’avais trouvé son esprit assez alerte et il n’avait pas perdu son sens de l’humour en abordant certains sujets. C’est pourquoi, j’étais loin de penser que sa vie arriverait si tôt à terme le 9 février dernier.


Ma première rencontre avec Jean Saint-Vil

Au cours de ma première année d’université, Jean et moi habitions dans le même quartier de Bolosse. Nous nous voyions sans avoir été véritablement amis puisque nous n’avions pas de points d’attache communs. Il fut un produit du lycée Anténor Firmin et moi du lycée Toussaint Louverture. Et lui, il a eu son baccalauréat, deuxième partie une année avant moi. Ses études secondaires terminées en 1964, il était admis à l’Ecole Normale Supérieure (Section Sciences sociales) puis à la Faculté d’Ethnologie et moi, je me retrouvais à la Faculté de Droit et des Sciences Administratives (Section juridique) avant d’intégrer par la suite, la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire. Sa rencontre avec la jeune fille Nicole Janvier, une de mes connaissances, qui habitait également le quartier et qui devint par la suite  sa femme, allait quelque peu raffermir nos liens d’amitié.

J’ai suivi ses performances à distance à l’Ecole Normale Supérieure car en ce temps-là, les prouesses des bons étudiants étaient connues de presque toute la gent estudiantine de Port-au-Prince, à travers des amis qui se retrouvaient dans cette institution comme Yves Dorestal, feu Fed Clerfond et feu Gerald Dorval. Tout jeune étudiant, il prenait déjà plaisir à publier ses textes dans des journaux de la capitale, laissant déjà pressentir qu’il allait devenir l’une des belles plumes du pays. A l’époque, l’Ecole Normale Supérieure avait la réputation d’être le terroir de jeunes gens pleins de savoir, de talent et d’ambition littéraire. Cette institution bénéficiait lors d’un soutien appréciable de la coopération française en termes de professeurs. Pour bon nombre d’étudiants de ladite institution, l’enseignement supérieur a été leur premier choix de carrière professionnelle d’autant plus que les meilleurs d’entre eux bénéficiaient souvent de bourses d’étude en France pour se spécialiser dans l’une des disciplines entrant dans leur champ de connaissance. C’est ainsi que Jean Saint-Vil a reçu du gouvernement français en 1967 une bourse pour entreprendre des études post-graduées en géographie à l’Université de Bordeaux. Etudiant méticuleux et discipliné, il est parvenu à y décrocher un doctorat dans cette discipline en 1973.

Ses études universitaires terminées, il ne tardait pas à recevoir des offres d’emploi dans certaines universités africaines, particulièrement au Gabon puis en Côte d’Ivoire où il avait comme collègue à l’Université d’Abidjan, un certain Laurent Gbagbo, docteur de l’Université Paris Diderot qui allait devenir président de ce pays du 26 octobre 2000 au 11 avril 2011. Dans ces deux pays africains, il allait consacrer plus d’une vingtaine d’années à s’occuper de la recherche en géographie urbaine, en Hydrologie et en Climatologie en tant qu’enseignant-chercheur. Son parcours universitaire à l’étranger est caractérisé par d’importantes publications sur l’hydrologie, la climatologie et sur divers problèmes de santé environnementale dans les revues nationales et internationales. Il a été toujours en proie à une soif intense d’écriture tant sur des sujets scientifiques que littéraires.


Son retour en Haïti

Après environ plus de deux décennies en terre étrangère, il retourna dans le pays au cours de l’année 1996 où il allait être membre du cabinet du ministre de l’Education Nationale, Jacques Edouard Alexis. Pendant six ans, il a eu la charge de gestion des dossiers des projets d’éducation à ce ministère. Par la suite, il occupa différents postes  dans d’autres ministères en même temps qu’il dispensait des cours dans les principales universités du pays. Il a été Secrétaire général de l’Université Quisqueya d’Octobre  2005 à Juillet 2006, membre du Cabinet du ministre de l’Intérieur de juillet 2006 à août 2012 en charge des dossiers de décentralisation au niveau de ce ministère, puis membre du Cabinet du ministre du Commerce d’octobre 2012 à 2014. Par la suite, il apportait ses services au Bureau de la Présidence, enfin au Ministère de la Culture et de l’Information à titre de consultant. Le professeur Jean Saint-Vil était toujours sollicité par les différentes branches de l’Administration publique ; car il était avant tout un homme de culture et de dossiers. Il avait une rare maîtrise dans la préparation des notes et fiches techniques destinées aux responsables des institutions publiques qu’il desservait. 


Ses activités d’enseignant

Jean fut un professeur exigeant, méthodique et rigoureux. Il m’expliquait un jour que, malgré qu’il fût parmi les meilleurs étudiants de sa promotion en Haïti, cela ne l’avait pas empêché de découvrir les grandes carences de notre système d’enseignement supérieur par rapport au système français, compte tenu des efforts qu’il a dû consentir au cours de ses études post-graduées. Aussi, fort de ce constat, s’est-il donné à fond pour dispenser une formation de qualité, de standard international, à ses étudiants tant à l’Université d’Etat d’Haïti (Ecole Normale Supérieure) qu’à l’Université Quisqueya (Faculté des Sciences de Génie et d’Architecture). Il s’est évertué à développer chez eux le culte de l’excellence et à faire fi de toute solution de facilité qui charrie fort souvent des idées simplistes, des conclusions hâtives et des approximations. Il y dispensait entre autres des cours de géographie et de cartographie. Sa connaissance de la pédagogie, sa longue expérience dans l’enseignement supérieur en Afrique, alliées à ses talents de Toastmaster lui ont donné la possibilité d’inculquer à ses étudiants les techniques les plus modernes de communication sociale et de leadership les invitant à faire l’effort nécessaire pour gravir les cimes de plus en plus élevées de la connaissance. Je n’ai pas eu la chance d’assister à ses communications orales en présentiel mais tous ses collègues qui l’ont fréquenté de près témoignent de ses qualités d’orateur.


Sa grande facilité d’écriture

Tous ceux et toutes celles qui ont connu le professeur Jean Saint-Vil étaient séduits par sa grande facilité d’écriture. En un très court laps de temps, il était capable de produire un texte poétique de qualité, d’écrire un article de vulgarisation scientifique ou de synthèse dans le strict respect des règles de l’art. Aussi, écrivait-il sur des sujets les plus variés à un rythme vertigineux. Toutes les questions d’importance lui servaient de prétexte pour produire des réflexions bien pensées, capables d’éclairer la lanterne de plus d’un. Ses articles sur l’épidémie de gale, le choléra, la sécurité alimentaire, la dégradation environnementale, la crise du pétrole en Haïti, les filières culturelles en Haïti peuvent en témoigner. Mais sans être un spécialiste de la poésie, je suis porté à croire que c’est dans ce domaine qu’il a laissé une œuvre vraiment considérable. Sans aucun doute, il a laissé en chantier un nombre considérable de poèmes, de discours et d’articles.

Jean Saint-Vil s’était donné pour discipline d’écrire chaque jour à longueur d’année. Il paraissait s’enivrer de plaisir, connaître ses moments de béatitude, chaque fois qu’il s’attablait pour écrire ses poèmes et laisser courir son imagination à travers ses morceaux de prose poétique. On comprend alors pourquoi, il écrivait dans l’un de ses poèmes :

« Il faut bien que je pense
Pour que germent des idées
Il faut bien que j’écrive
Pour coucher des idées
Il faut bien que je pleure
Pour enterrer des idées
Il faut bien que je parle
Pour pousser des idées
Vers une porte de sortie »

Je ne sais pourquoi il semblait faire confiance à mes pulsions émotionnelles, à ma sensibilité pour pouvoir apprécier la qualité de ses textes poétiques car il me demandait souvent de lui exprimer une juste appréciation de quelques-uns de ses poèmes. Ce qui frappe dans sa poésie, c’est la facilité avec laquelle elle se laisse lire. Pas d’expressions loufoques et de passages hermétiques. Bon nombre de ses courts poèmes me font penser à ceux du poète français Paul Eluard comme « La courbe de tes yeux » et « Liberté » en ce qui concerne leur rythme, leur message et leur musicalité.  L’amour a été de loin le thème qui a dominé son œuvre poétique. Il paraissait envahir tout son être, chaque cellule de son corps. Mais, il ne dédaignait pas pour autant de se pencher sur des sujets graves, sur les calamités du pays. Il a été presque toujours bien inspiré pour traduire ses sentiments et ses pensées avec élégance. Je lui avais recommandé à maintes reprises de s’associer avec des musicien(s) pour mettre en musique quelques-uns de ces poèmes qui s’apparentent déjà, par leur rythme et la musicalité de l’arrangement des mots, à des chansons afin de leur donner non seulement un plus grand souffle mais aussi une plus grande popularité.


Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs,

Dans son dernier recueil de poésie intitulé « Poésies étranges », le préfacier Jean-Robert PAUL a écrit avec raison que le poète Jean SAINT-VIL pensait pouvoir accéder à la longévité à travers les caresses amoureuses. En effet, dans son poème, « L’eau-de-vie de tes lèvres », il a écrit avec humour:

« Je vivrai très longtemps
Peut-être plusieurs siècles
Ou même des millénaires
Si je bois à chaque fois
L’eau-de-vie de tes lèvres
C’est au cours de mes rêves
Qu’au cours d’une nuit blanche
Qu’une étoile du ciel
M’a fait cette révélation »

Plusieurs de ses poèmes sont un véritable hymne à l’amour, ils scintillent  comme des bijoux de haut de gamme, dotés du pouvoir de susurrer à l’oreille des initiés une mélodie envoûtante. Outre sa formation scientifique, sa dimension de poète restera à jamais gravée dans notre mémoire et continuera toujours d’attendrir notre cœur. C’est cet humaniste, plein de générosité, de bonté et de sentiments de partage que nous pleurons aujourd’hui en faisant fi des recommandations de Jean de La Bruyère qui écrivit au XVIIème siècle dans son livre : les  Caractères ou les mœurs de ce siècle, “Les larmes sont parfois une réponse inappropriée à la mort. Quand une vie a été vécue vraiment honnêtement, vraiment avec succès ou simplement vraiment, la meilleure réponse à la ponctuation finale de la mort est un sourire.” Jean a en effet vécu honnêtement et même bien vécu ; mais j’avoue ne pas avoir suffisamment de force morale pour esquisser un sourire comme réponse à sa mort comme le voudrait le grand écrivain français ci-dessus mentionné.

En cette pénible circonstance, je m’incline bien bas devant sa dépouille et profite de l’occasion pour présenter mes condoléances émues à sa femme Nicole, ses enfants, ses proches parents, ses beaux-frères et belle-sœur, à l’Université Quisqueya et l’Université d’Etat d’Haïti, à ses collègues professeurs, ses étudiants, ses nombreux collaborateurs dans les différentes branches de l’Administration publique ; enfin à tous ceux et à  toutes celles qui se sentent touchés par ce deuil. 

Va en paix, cher ami Jean !



© Max Francois MILLIEN, 2024
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