L'avion roula sur l'herbe, descendit : vitesse vertigineuse ! La carcasse grinçait. L'enfant tremblait, « je vais m'écraser » : gémissait-il. Il faisait nuit, la brume recouvrait les champs, et soudain, l'avion flotta, passa au ras des chevelures de grands diables ; au loin, des halos…Et l'enfant riait, et l'enfant pleurait : « je vole ! je vole ! je vole !» et l'écho tonnait sous le ventre de l'orage : « s'envole ! s'envole ! s'envole. »

Le vieux moteur grondait : plein gaz ! L'enfant se cramponna au manche, jouant du palonnier. Il s'éleva, loin, toujours plus haut. Il vit en face la lune, complice, et une grande face hilare qui clignait de l'œil :
- Tu seras l'oiseau dans la tempête ! Vole ! Fils ! Ta mission commence, tu seras mon phare et ma voix, ton purgatoire valait bien cela !

A l'aube de ce jour mémorable, quelques-uns entendirent ce vrombissement et se demandèrent quel fou volait sur une libellule ; alors que la météo annonçait l'orage. Mais une fois dans les airs, le vieux coucou se révéla le plus merveilleux voilier. Infatigable, serviable, il roucoulait d'aise, et, toujours, broutait l'altitude et l'espace. Depuis longtemps il espérait ce miracle, attendait son heure. Alors le grand enfant découvrit que le vieux zinc avait un cœur de jet, qu'il virait mieux qu'eux, pouvait piquer comme un faucon, voltigeait comme un martinet, volait au ras des herbes comme gobe-mouches. Il pouvait tout voir, tout sentir, semer le grain ou la foudre, éteindre le feu ou l'allumer. Il possédait la clé de la vie et de la féerie : des ailes fidèles et aimantes, à la fois mère et amie, elles se nommaient POÉSIE, et l'Invisible ajouta, sur un ton de bonhomie : « par elles, tu seras un homme ! N'oublie jamais qu'elles sont des richesses sans prix, et qu'elles ne se vendent pas ! Enfin que tu es des privilégiés sans nom ! Que par elles, scintillent les gemmes éclatants, nommés :

LIBERTE et VISION .»



Et ce jour-là, j'ai gagné le droit de vivre…


© Jean-Jacques Rey, 1982