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- Ou de faire perdre leur boulot, aux autres. Tu parles d'un service ! - Il paraît qu'il considère la Mer comme sa mère : c'est marrant d'être si intelligent et si con à la fois. - Ouais, c'est sûr ! Je vois pas ce que la Mer a, à voir là-dedans. C'est pas Elle qui l'a mis au monde ! Le couple chenu hocha la tête, ils étaient bien d'accord avec leur commère : - C'est un marin d'eau douce, de toute façon ! Il ne la regarde que de loin… - Oh ! il paraît qu'il a un peu navigué quand même, quand il était à l'armée. - Ouais ! bof ! pas longtemps alors, et c'est pas ça qui en fait un marin !…
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Aux abords du lieu dit : Le Fromager, Herbert trouva un escargot : un petit-gris ; puis deux ; puis trois… De quoi satisfaire un penchant quasi morbide, de « collectionneur » : il aimait, à ramasser ces gastéropodes, et les enfermer dans des caisses grillagées, les compter et les recompter, pour finalement relâcher un jour, la moitié des survivants, et déguster les autres. Il se rendait souvent, au cours de ses promenades solitaires, à ces jardins abandonnés, en périphérie de la ville. Il n'y avait guère de monde qui s'aventuraient par là, hormis quelques gamins et des chasseurs. Le lieu était désert, il n'avait pas bonne réputation, et ce n'était pas seulement à cause des serpents. Il y avait des vieilles histoires de malédiction qui couraient à son sujet, dont les plus anciennes devaient remonter, au moins, aux temps des mérovingiens ! … Herbert n'en avait cure ; au contraire, il aimait ce lieu sauvage, si proche du centre-ville ; ce lieu dont des esprits simples avaient fait un endroit sinistre. Il tâtonna ainsi à travers la végétation humide, contournant les entrelacs et les fouillis trop denses. Il trouva quelques fruits en plus des limaçons, et même des champignons. Il ne revint qu'à la nuit tombée, le crachin avait cessé.
Un trait dans l'histoire, c'est qu'Herbert Goupil était fier ; pas un de ces fiers vaniteux, au mépris facile, qui masquent un vide intérieur, mais un fier sensitif, libre dans ses manières et provocateur. Bref ! Herbert était tout le contraire du fonctionnaire typé. Il n'avait jamais eu souci de carrière. Il ne supportait pas la bêtise ; encore moins l'injustice. Aussi quand cet instituteur s'était avisé de le rabrouer, dans la cour de l'école, pour un motif dérisoire, son sang n'avait fait qu'un tour. Il l'avait « oint » devant toute la galerie, en usant d'une impromptue pédagogie, et en parlant d'académie… L'autre, blême, avait pris peur. Il s'était vengé vilement. Prévenue, la secrétaire générale de mairie avait convoqué Herbert. L'entretien s'était mal terminé. Pris de haut, Herbert avait pris de bas. On connaît la suite… Ce qui dépassait l'entendement pour les gens d'ici, dès lors, c'est qu'Herbert décourageait quiconque cherchait à s'approcher de lui, et qu'il ne cherchait même pas à s'expliquer. Chez les honnêtes gens, il passait pour un fou - à savoir s'il était dangereux - ou du moins, pour un hurluberlu prétentieux ; et ; certains n'auraient pas désapprouvé qu'il lui arrivât quelque désagrément, et d'autres pensaient que sa place était ailleurs ! Mais Herbert ne semblait guère affecté par la rumeur. Il avait sa conscience pour lui et s'appuyait dessus ; en plus il était déjà « parti », parce qu'il avait déjà trouvé un autre emploi, mieux payé et loin d'ici. Les oies du coin le sauraient bien assez tôt ! Dans son for intérieur, il leur adressait un gros bras d'honneur… Je vous l'ai dit, Herbert était fier et provocateur.
Herbert porta un œil négligent à sa montre : il était vingt et une heures. Ce soir, il avait encore le temps d'écrire, il pressa le pas, et sa marche résonna dans la ruelle déserte. A le voir venir, un autre de ses voisins qui travaillait au loin, sur les chantiers, et qui regagnait juste son domicile, après une petite escale au bistrot, marmonna à sa femme qui lui ouvrait la porte : - Celui-là, c'est un drôle de loustic ! Paraît qu'il veut faire des procès à tout le monde… Il croit parce qu'il sait écrire, ce qui reste à prouver, qu'il peut faire peur à tout le monde. Moi, il me fait pas peur ! On verra bien , si je lui mets une trempe, ce qu'il fera ! Sa femme lui pris son imperméable, et elle fit un clin d'œil à sa fille, qui descendait à leur rencontre : - Il portera plainte et après, on aura un procès sur les bras ! L'homme au visage couperosé, s'exclama : - C'est pas digne d'un ancien légionnaire ! - Il peut gagner la bagarre aussi ! - Alors ce sera à nous de porter plainte. - tu auras du mal à te justifier si tu vas l'agresser chez lui. - Je le prendrais dans la rue. - Il fait chier personne, pourtant ! Ça a l'air d'un brave mec ! Le visage du paterfamilias se renfrogna un peu plus : - J'aime pas ses airs de « m'as-tu-vu ». Il a besoin qu'on lui rabaisse le caquet. - Il va partir bientôt, alors c'est pas la peine de faire des histoires ! - Où as-tu entendu cela ? -Je sais, c'est tout ! - Ça vaut mieux pour lui, il commence à être repéré dans le quartier… - Je me demande bien comment ! Il ne sort jamais de chez lui, à part ses virées au Fromager. - Il n'a pas besoin de sortir souvent, il se fait bien assez remarquer ! - C'est pas en mal, tout de même ! Ça nous regarde pas ses histoires à la mairie. - Ah ! tu trouves ? Oh ! puis merde ! Je vois pas ce que tu lui trouves ! … Il resta coincé sur ce dernier mot, se racla la gorge et finit par s'embrouiller. La femme continua de se moquer :
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