Je sors de la « Casbah » en catimini ! La casbah est ma crèche ; sauf que là-dedans, je vis avec tout plein de petits « Jésus ». On nous met en croix au lit, il n'y a plus besoin de monter sur le Golgotha ! Pourtant, je le prends le chemin de la colline, moi, pour aller voir le « Guérisseur ». J'ai changé d'avis. Je vais commencer par l'escroc qui m'a floué, puis éconduit ; tout ça pour quelques grammes de shit ! Il y en a qui veulent toujours vivre à crédit… Je vais emboutir son gros pif. J'abomine ceux qui ne respectent pas leur parole, encore plus que ceux  qui parlent en l'air, les idées creuses. Lui, il est tout cela. C'est peu dire, et pourtant, ça court les rues, ces gars-là ! Nous sommes à l'heure de la « parole insultée, disent en gros, des intellos : je ne sais plus qui ! Nous sommes donc des orphelins du langage, comme s'il ne suffisait pas d'être orphelin tout court ! Je suis donc les deux. L'air du temps qui serait l'ère de la parole insultée… A quoi, cela sert de parler, alors ?

J'ai encore changé d'avis. Quand il me voit débarquer, Raymond ouvre la bouche, hébété. Il m'apparaît comme une ombre chinoise, dans le chambranle, tout ratatiné. Raymond, c'est mon grand papa, cet esclave mis au rebut, qui passe son temps au P.M.U., en compagnie de ses potes soûlographes ; mais dans le cercle effiloché de ma famille, il passe pour le plus abordable, et son repère n'est pas très loin de la « Casbah ». J'ai envie de le parfumer, tant il pue de la gueule. Comme si ce n'était pas assez, il tient encore son tire-bouchon à la main ! Il n'a pas atteint le niveau et fait maintenant le complément chez lui… Je vois qu'il a encore assez de lucidité pour comprendre ma réprobation. Je fais donc la moue. J'ai seize ans plus quelques mois, et je ne voudrais pas que l'on dise, de mon âge, qu'il est le joyeux temps de l'insouciance ou bien le temps des cerises ! Tous ces « vieux jeunes » se trompent énormément. Ils nous laissent en héritage, leurs fatras d'idéologies, leurs errements et leurs pataquès, et feignent maintenant de nous travestir en « jeunes vieux ». C'est leur problème ! Peut-être pensent-ils pouvoir justifier par là, leurs évolutions, qu'ils n'assument guère… De voir mon grand papa, si minable, me déprime. Je lui fais une bise, sans prononcer un mot, et je lui tourne le dos, en ignorant ses appels. Je dévale l'escalier et, parvenu dans la rue, je respire un grand coup. Je me sens si seul, que j'en étouffe. On prendrait à tort, mon gonflement de poitrine, pour un roulement de mécanique.

Je prends le tortillard de vingt-deux heures plus quelque chose. Je suis resté toute la journée à regarder la Mer. Je me sens las et en même temps, revigoré, vidé de mon amertume et de ma haine. J'ai plongé dans la « machine » à régénérer. Ca valait la peine de prendre la poudre d'escampette ! Du coup, j'en ai plus, de peine justement, et je vais venger mon copain. Fini la mauvaise conscience de ne rien faire pour prendre sa vie en main. Je le vengerai en étant « smart ». Moi, malin, je profiterai des relations, des affinités, dans la société, et demain, je serai fort. J'imagine déjà les caresses. J'ai envie de pénétrer des secrets… Je serai fort comme un arc de triomphe !

J'ai répondu à son invitation. Depuis le temps qu'elle m'aguiche ! Mon professeur de français  veut m'aider à faire mes devoirs. J'ai du retard, certes, mais c'est surtout à autre chose que je pense, quand je vais chez elle… Quelque chose comme ces beaux galbes qui jaillissent de ses jupes courtes. Comme d'habitude, elle est radieuse, infiniment humaine. Je perds toujours mes moyens devant ce soleil. C'est une femme belle et coquette. Je fonds comme une glace dans l'air chaud. Mais aujourd'hui, le cours particulier, c'est moi qui ai l'intention de le donner. Je suis tout électrisé, rien que d'y penser. A l'heure du thé, comme si c'était naturel, elle m'invite à venir près d'elle, assise sur le divan. Sa jupe retroussée laisse beaucoup deviner… Intéressé, j'observe la lisière, me demandant si elle porte des bas ou un collant. Peu de temps après, je lui passe le bras autour du cou, avec une apparente candeur ; elle fait de même avec douceur. Je n'entends plus que sa voix suave et ne vois plus que ses rondeurs. Ses lèvres rubis m'attirent. Son corps lové est liane. Je n'en peux plus. Comme un ressort, je me détends, je m'applique à elle, en pressant sa poitrine. Elle se cambre, délicieux rempart, elle cherche à me repousser tendrement. Alors je deviens fou. En plein rut, je suis ; un mur d'inhibition s'effondre. Je la culbute et la roule sur le divan. Je mets à nu ses seins, et m'installe à califourchon sur son ventre. Je m'extasie. Elle se tortille en vain. Puis avec frénésie, je l'assaille et retire tout ce qui me gêne. Après une courte lutte, je bloque ses hanches et j'aborde son sexe ; très brièvement, je caresse, je glisse, puis j'embouque et je boute, de peur qu'elle se dérobe !  Elle tressaille en gémissant, ouvre grande la bouche ; ce qui m'enivre d'un sentiment de toute-puissance. Je vais pour fourgonner, mais je m'écrase sur elle, j'enfouis mon visage dans ses cheveux. J'inhale son parfum, je suis alors saisi, et un flash m'aveugle ! J'inspire pour la respirer tout entière, et dans la trémulation, mon I vit sa vie, il saccade par jets l'intérieur féminin ; alors elle m'étreint dans mes spasmes, et m'accompagne par les ondulations de son ventre. Je me sens emporté, soudé à elle, et soudain, je sens vivre sa chair… Je reviens petit à petit à moi et réalise qu 'elle me caresse. Je la force, je jouis égoïstement en elle, et voilà qu'elle me chérit ! Elle me dit des mots gentils, tout plein, qui me ravissent, et je lèche son visage en pleurant et nous pleurons. Elle devient mon « île » et je me cramponne à elle. Je reste et nous restons un long moment, enlacés.

Je ne sais pas quand je me relève, mais de peur de la perdre, je l'enferme, toute soumise ; puis je cours à son frigidaire et me restaure. Il fait nuit. Je suis heureux, et en même temps, je voudrais exploser, mourir pour toujours… C'est la première fois ! Quand je reviens dans la chambre, la bouche déjà sèche sous l'effet du désir, elle est recroquevillée, nue, dans un coin. Elle semble indifférente, et paraît si fragile. Je n'y tiens plus. Je veux la posséder encore. Mon sang bouillonne et je me précipite. Je m'empare d'elle. Je la cale sur le lit et monte sa croupe. Je remonte d'une lancée, dans son vagin, et j'ai un vrai rapport qui dure, je ne sais plus ! Je me rappelle ses râles et de ses cris, et au bout du tangage, la sensation immense : une suspension dans le temps, inconnue… Je suis roulé par une vague qui m'anéantit, complètement, bouche béante. Je deviens un arc de triomphe, qui bientôt s'effondre, avec elle, sur le lit…

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