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proximité, à des individus malsains. La Mère Pot-au-feu travaillait, elle aussi, pour un laboratoire pharmaceutique : le même que la brune, chevauchée, qui prêtait son cul, et aux dernières nouvelles, elle essayait de faire rentrer dedans son jules qui phosphorait dans l'informatique, d'après leurs vantardises. Barnabé se dirigea donc, lui aussi, avec un maximum de précaution, bouche grande ouverte, vers la rue, puis la place, contournant de fait son domicile. Il n'y avait pas eu de temps de latence et son pouls s'accéléra de nouveau.
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Les bidochons n'allèrent pas bien loin, ils s'assirent sur un banc dans la pénombre, et Barnabé, planqué au coin de la ruelle, crut qu'ils s'installaient pour un long conciliabule : leurs histoires à eux sans doute, imperceptible d'où il était, et, qui l'aurait moins intéressé de toute façon que la gestuelle des amants ; aussi s'apprêta-t-il à rebrousser chemin vers son logis ; mais au lieu de cela, il assista à un manège étrange : les deux passants de la nuit ouvrirent leurs poches, déposées à leurs pieds, et se mirent à semer des choses par poignées. Ils se levèrent bientôt et recommencèrent plus loin, en faisant le tour du parc ou presque. Nulle précipitation dans leurs gestes, mais une belle harmonie, ils marchaient bras dessus bras dessous. Quand ils eurent fini la distribution, ils revinrent à leur première station et s'enlacèrent un long moment sur le banc. Pendant ce temps, Barnabé était planqué entre deux voitures, il regardait ce qu'il y avait par terre : c'était des miettes de pain et des graines, comme si nos amoureux nourrissaient les oiseaux ? … Aussitôt Barnabé conçut un soupçon, en rapport avec les tracasseries dont il était l'objet. Il fallait en avoir le cœur net. Décidément tout le monde ici nourrissait les pigeons, sauf lui, et pourtant il était le premier accusé ! Si ce qu'il imaginait, était vrai, il y allait avoir du grabuge…
Du grabuge, il y en eut ! Un pharmacien du quartier confirma bien que la nourriture, semée à l'intention des pigeons était empoisonnée. Il appuya le témoignage de Barnabé au commissariat. Restait à savoir pourquoi les autres faisaient cela, s'ils étaient dérangés ou non ? Le jeune inspecteur auxiliaire qu'il revit à cette occasion, lui confia en riant : - Vous voyez bien , monsieur Barnabé, si on enferme tous les toqués, on laissera tous les fracassés dehors, encore heureux qu'ils se manifestent de temps en temps ! - Ah bon ! vous parlez d'une morale ! Faut attendre de se faire égorger pour se faire prendre au sérieux alors ? - Ou de ramasser les miettes, comme souvent dans la police, mon vieux ! … L'inspecteur lui tendit la main, et ils se mirent à rire tous les deux, en fin de compte assez soulagés : ils gagnaient chacun au moins sur un tableau…
La réponse, Barnabé l'eut plus tard, et entre parenthèse, par celle dont il l'attendait le moins. Un soir qu'il rentrait, elle l'accrocha et cette fois, sans l'insulter, mais presque avec douceur : - Hé ben ! vous savez ! Dire que je croyez que c'était vous… - Vous vous faites beaucoup trop d'idées, madame Pochon, j'ai parfois essayé de vous le dire ! Et Barnabé lui sourit, il croyait bien que c'était la première fois de sa vie ! - Mais dame ! Faut bien être ravagé pour se conduire de la sorte ! Si elle n'avait pas travaillé à ce labo, elle ne l'aurait peut-être pas eu cette idée, et tout ça, pour garder propres, ses géraniums et ses vitres ! - Quoi donc ! Vous voulez dire que… ? - Mais oui ! D'après qu'elle a dit aux flics : elle ne pouvait pas supporter les merdes de pigeon sur son balcon, m'sieur ! Même qu'avec des gens comme cela, les écolos m'ont dit qu'on ne passerait pas le siècle ! - Ah bon ! Parce qu'ils sont au courant, ceux-là aussi ? … Hé bien ! c'est pas dommage, je vais peut-être pouvoir roupiller à mon aise maintenant ! Et Barnabé se pinça pour ne pas hurler de rire !
© Jean-Jacques REY, 2005
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