puis quoi, encore ? Il y en avait qui n'avaient que cela à faire : emmerder les autres, c'était le cas de le dire, pour montrer leur savoir-faire ! »


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Son univers était tout chamboulé. Les causes les plus nobles servent souvent à de drôles d'oiseaux chez les hommes, qui n'honorent guère leurs grands idéaux, dans la vie quotidienne. La preuve, Barnabé n'en revenait pas : les deux défenseurs des animaux, tombés de la rue dans ses pattes, avaient porté plainte contre lui, ces grands esprits ! Il s'était fait enguirlandé proprement au commissariat, et en plus, il était accusé d'empoisonner les pigeons du quartier, le nec plus ultra ! C'était pour cela que les autres excités étaient venus manifester l'autre matin, devant son domicile. Alors on venait » démolir » ses carreaux, l'agresser chez lui et l'accuser de n'importe quoi, et c'est lui qui devait rendre des comptes, payer l'addition ! En plus il était devenu la risée du quartier, et les braves gens se croyaient obligés d'en faire un conte pour édifier les enfants : un massacreur de pigeons, vous parlez ! Des gars comme lui qui vivaient la nuit et dormaient le jour, ils étaient toujours suspects d'être anormaux… Parce qu'à la vérité, ses petits jobs : en fin d'après-midi et de minuit à six heures du matin, le desservaient ; ils l'exposaient au temps libre, en milieu de journée. C'était un « luxe » équivoque pour bien des gens ici, habitués au rythme circadien ; celui qui fait que les horaires sont bien définis : on travaille le jour, on mange à midi, on regarde la télé le soir et on dort la nuit ! C'est ça, la vie des honnêtes gens jusqu'à preuve du contraire, et tout ce qui va à l'encontre des usages, vous savez, dérange l'esprit commun des foules ! C'est ainsi qu'on acquiert la renommée. Il y a même des hommes d'état qui y laissent des plumes… Encore heureux qu'il avait des alibis et qu'on n'avait rien trouvé chez lui, pas même de mort-aux-rats ! Parce qu'il avait même eu droit à une perquisition : un second réveil brutal ! Qu'est-ce qu'il pouvait bien en avoir à foutre, lui, de ces pauvres oiseaux : il avait bien assez à s'occuper de ses affaires, sans remplacer les rapaces !


- Alors monsieur le Tartempion, on n'aime pas voir salis, ses carreaux ? Vous préférez peut-être regarder en transparence, le ciel de nuit ?
La harengère la ramenait à nouveau, elle bichait jusqu'à le provoquer à la moindre apparition, au moindre prétexte ; peut-être voulait-elle montrer ainsi qu'elle avait quelques éclairs de génie dans la dérision. C'est comme pour les fautes d'orthographe, ce sont toujours les plus petits qui les relèvent pour « s 'élever » ; parce qu'en fait, c'est tout qu'ils savent voir ! … Il lui aurait bien renverser son arrosoir, sur sa tronche de tubercule, mais à quoi bon ? Elle n'attendait que cela, et il n'avait aucune envie de satisfaire son ego. Il ignora royalement ce gros volatile, posté comme à l'accoutumée, à sa fenêtre. Il préférait éviter de cumuler les esclandres en ce moment, il était dans le collimateur des instances : pas la peine d'en rajouter, et elle le savait, la psychopathe ! Mais il se promettait bien de lui jouer un tour à sa façon, un de ces quatre ; parce que cette histoire de pigeons, elle lui restait en travers de la gorge. Il avait bien remarqué qu'elle passait son temps à les nourrir devant sa porte, quitte à prendre une merde au passage, sur les carreaux ou ailleurs ; alors des fois que ses sentiments morbides la poussassent à se servir de ces malheureux oiseaux comme d'un transfert d'hostilité…

Les séries noires, cela existe à grande échelle comme pour les petits cas. La société de gardiennage qui employait Barnabé, la nuit, pour une tour administrative, dans le centre-ville, perdit ce gros contrat ; résultat : quatre mecs à recaser, et pour lui, dernier recruté, ce fut le licenciement pour cause économique. Il ne lui restait plus que son job de coursier : quelques heures par semaine, et ses prestations épisodiques de bassiste, dans un groupe de hard-rock, qui ne rapportait pas des cachets mirobolants à vrai dire, pas de quoi faire la nouba tous les soirs en tout cas ! Mais au moins l'infortune avait quelque chose de bon, Barnabé allait pouvoir dormir chez lui, la nuit, autant qu'il le voulait maintenant ; et ; peut-être que les bidochons du quartier auraient moins de défiance et l'oublierait dans son trou. Barnabé était tellement fatigué d'être tiraillé de tout côté et de ruminer de mauvaises pensées, qu'il aspirait à une cure de sommeil. Si on venait le réveiller encore pour des sornettes, il tirerait droit aux pigeons, c'est sûr !

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Comme il avait plus de temps à passer chez lui, Barnabé regardait la nuit…C'était même à ce moment-là qu'il se divertissait le plus ! Il ne regrettait pas du tout, les heures qui s'égrenaient auparavant, fastidieuses, à veiller sur des couloirs vides, par l'intermédiaire de ses écrans de contrôle. Il y avait derrière son échoppe, un jardin privé, sur lequel donnaient plusieurs appartements dont le sien. C'était de petits appartements pour personne seule ou en couple sans enfants, entièrement refaits à neuf, dans des maisons de faubourg. Il y avait là-dedans, toute une faune aux mœurs débridées, et notre infortuné qui se promenait à des heures tardives : quelquefois en plein milieu de la nuit, y saisissait plus que des bribes de conversation, des éclats ou des ébats qui l'attiraient. C'était une vraie volière où passaient des migrations régulières, et certaines personnes ne se donnaient même pas la peine de fermer la fenêtre ou les volets. A force de visionner, Barnabé en était venu tout naturellement à être voyeur ! Il avait ses préférences et trouver mieux que les cassettes vidéo : le spectacle lui était donné en sorte ! Il y avait deux femmes qui venaient régulièrement s'offrir aux mâles du lieu, à qui on aurait donné le bon dieu sans confession dans la rue. Il les connaissait pour les avoir croiser souvent. Elles étaient du quartier. Elles travaillaient : l'une comme cadre commerciale dans une grosse imprimerie, l'autre comme secrétaire dans un laboratoire pharmaceutique ; les deux établissements étant dans les parages. Elles avaient chacune un « officiel », des gosses et leur voiture ! L'une avait la quarantaine bien sonnée et elle était blonde, l'autre était beaucoup plus jeune : moins de trente ans et brune. Sans les avoir touchées, Barnabé connaissait leur anatomie sur toutes les coutures ; par exemple, si la brune était vraie, la blonde l'était moins… Pour ce qui est des cris, ils se confondaient, et elles parlaient très peu… Faut croire que leurs « officiels » ne les comblaient pas assez ! … La blonde était spécialiste de la pipe et du trampoline sur les cuisses (du mec) et elle montait très haut ! La brune se faisait prendre dans toutes les positions, même les plus tordues, et son corps liane l'aidait bien pour ce faire. Inutile de les détailler, Barnabé s'en prenait de sacrées chaleurs ! …

Une nuit qu'il observait la brune, basculée sur le dossier du canapé se faire tisonner par son mec avec frénésie, ses cuisses tressaillant par dessus cul et tête, il entendit des pas effleurer les dalles de l'allée centrale du jardin. Surpris, il se lâcha prématurément  dans un slip, déjà bien déformé, et se fit tout petit derrière son arbre à fleurs ! Il vit alors passer deux silhouettes qu'il reconnaissait pour être des voisins, locataires dans un bâtiment vis-à-vis du sien. Ils portaient des poches. Barnabé les avait surnommés : « La Mère Pot-au-feu » et « Le Bouffon Parano ». C'était des bidochons abjects, bouffis d'orgueil, qui, ne pouvant s'élever ni spirituellement ni socialement parlant, se traînaient comme des cloportes dans leur univers étriqué, matérialiste. Ils racontaient du mal  sur tout le monde, au tout venant, et s'étonnaient d'être rejetés par tous, ici. Ils préféraient prendre pour cible, le racisme inavoué soi-disant de chacun, que de remettre en cause leur manière d'être. L'une était de Nantes et l'autre du Maroc… Ainsi ceci faisant cela, ils étaient plutôt repérés dans le quartier, les pauvres « mixtionnés » ! La Mère Pot-au-feu s'arrêta au passage et montra la fenêtre, éclairée, d'où s'échappaient les gémissements du couple centaure. Les persiennes étaient mises, mais la fenêtre béait derrière ; collé contre l'ouverture, on voyait tout à l'intérieur, et Barnabé eut peur un moment qu'elle ne s'approchât, le démasquant dans la végétation devant. Au lieu de cela, la Mère Pot-au-feu singea la copulation et chuchota à l'oreille de son compagnon. Barnabé les entendit pouffer, et ils continuèrent leur chemin pour s'évanouir dans la trouée qui donnait sur le parc public : en face de chez lui donc, et qui bordait la place où il garait son véhicule.

A côté de lui, le couple centaure finit par arriver à ses fins, et un hurlement de jouissance saisit Barnabé, encore tout tendu. Du coup, il en éjacula ce qui lui restait en magasin, dans un spasme irrépressible, et après un dernier coup d'œil sur la scène, qui lui permit de voir le mec, déboîté, asperger  la raie de la fille entre ses bas à fleurs, il s'esquiva sur la pointe des pieds. Bien qu'il eût un fromage sur le nombril maintenant, l'esprit de Barnabé était parfaitement clair ! Il était intrigué par la sortie nocturne des bidochons, spécimens apparentés, à la loupe du temps aidant et de la