Elle fut employée aussi par les Romains pour la construction du pont de Vaison-la-Romaine qui résista, il y a quelques années aux pluies torrentielles de l'Ouvèze… Mais sous la dénomination pierre du Lubéron, se dissimulent une multitude de variétés : par exemple celle qui sort des carrières de Buoux, et qui se nomme la pierre blanche d'Espeil ; ou bien encore celle que l'on retrouve dans les souterrains d'Oppède, et que l'on appelle l'Estaillade si blanche au milieu des cerisiers. Ou celle encore que l'on retrouve sur les murs d'un certain Château, extraite à Lacoste ou à Ménerbes. La pierre, ce château, et l'endroit furent mondialement connus un petit matin de décembre 1771, lorsqu'un jeune homme de 31 ans, au passé déjà lourd, est venu se faire « oublier » en Provence, sur les conseils de sa famille. La pierre de Lacoste eut sa réputation grâce au Marquis de Sade…
On peut parler également de la pierre des Baux, dont les anciennes carrières théâtrales ont fait rêver plus d'un Jean Cocteau, d'un Jean Villar, et d'un Gérard Philippe.
Tout près de là on rencontre les « Baumes du Roucas ». C'est du calcaire blanc, qui semble dur, mais qui est comme de la pâte à modeler et qui se « travaille » très facilement. Un trou était une cheminée, un autre le foyer. Il suffisait à nos anciens de prendre une pioche pour qu'ils se fassent une armoire ou agrandissent leur demeure d'une ou plusieurs pièces… Le temps des troglodytes est révolu, ou presque.

Tant que cette longue promenade ne vous a pas encore trop fatigués, je voudrais vous faire « jeter un œil » sur les murs en pierres sèches des Bories. La Provence regorge de ces constructions plusieurs fois centenaires, à l' architecture millénaire. Il y celles de Gordes, ou plus haut sur la Durance, celles de Ganagobie, ou mieux encore, celles du Contadour. C'est là que Jean Giono a écrit tant de belles pages, assis sur des pierres blanches, humant les effluves de thym et de lavande que transportaient les vents. Ces bories étaient toutes bâties avec les pierres blanches, trouvées sur place. Ces pierres se « montaient » sans ciment ni enduit. Chacune était posée sur l'autre, comme pour un igloo. La voûte et le toit tenaient parfaitement en place grâce au poids. Cette technique de construction remonte à la nuit des temps. Ces abris, pour bergers et animaux, gardaient la chaleur en hiver et la fraîcheur en été.


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Il se fait tard, et il faut déjà songer au retour. Pourtant, si vous avez envie de voyager plus loin dans cet univers minéral de Provence, alors faites que vos pas vous guident près d'Apt, à Roussillon. Venez voir le village ensanglanté de Delphes la Rouge où se marient bien volontiers, les ocres violets, rouges, jaunes, et ceux plus loin de Gargas. Regardez aussi ceux de Saint Saturnin, de Mormoiron ou ceux de Ville sur Auzon, et les roches mordorées et nacrées de Rustrel. Nous sommes au Pays du Colorado provençal !

Et que dire du marbre de Roques Hautes, près du Tholonet, tellement rustique qu'il ressemble à des tranches de « fromage de tête » lorsqu'on le coupe ? Il est constitué en fait de galets plus ou moins gros et dépareillés, de couleurs allant du beige clair au marron foncé…
Lorsqu'on connaît la géologie de ces lieux, on sait que ces galets sont, pour la plupart, des œufs de dinosaures, l'admiration en est que plus grande.

Et puisqu'on parle de couleurs, il y a même la couleur noire du charbon, du côté de Gardanne et de Mimet.


Pour terminer ce périple, et sans vouloir vous fatiguer plus longtemps, sans aller jusqu'aux carrières de marbre rose de Brignoles, mais en restant près de chez nous, venez caresser la pierre de Cassis : elle est dure et belle, toute simple. Il n'y a pas tellement longtemps encore, cette pierre trônait dans les cuisines, à la place des éviers. Mais combien cette pierre est dure sous les mains lors d'escalades et sous les pieds des randonneurs !!!

Tout le monde n'est pas né sous le Garlaban « couronné de chèvres au temps des derniers chevriers ». Mais qui n'a pas eu soif sur les sentiers de Jean de Florette en rentrant sur Marseille, après une longue et belle promenade, par le simple fait d'apercevoir la mer au loin ? Qui n'a pas eu ce jour -là, en fin d'après-midi, lorsque le soleil décline à l'horizon sur la mer et les collines de Marcel Pagnol, la tête pleine de vent, d'odeurs et de pierres ? Ainsi prend fin cette randonnée, dans le Sud Est proche de Marseille, des temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Je n'ai pas tout dit, tout raconté, loin s'en faut. Au risque d'avoir été trop long et ennuyeux, j'ai essayé de vous faire partager ma passion pour ces couleurs, ces odeurs, ces histoires. Au hasard de mes pas, j'ai pu côtoyer nos ancêtres, des hommes aux mains et aux pieds écorchés par ces pierres et sur ces pierres, sous le soleil torride, ou gelés par le mistral, avec tout simplement les pins, les cigales et la mer…, devant…, à l'infini…qui se noie avec le soleil.



~°~


   
    Oubliés sous mes pas, des cailloux, maintes fois,
....
Béguins des ronciers où leurs corps se prélassent,
....
Jètent dans mon esprit des troubles qui s'enlacent,
....
Et j'écoute leurs cœurs qui m'ouvrent d'autrefois...

"
Témoins des jours heureux  quand résonnaient leurs chants,
...
Sous d'amères saisons aux cieux souvent rudes,
....
Ils n'avaient que nos poids pour seules certitudes :
....
Nous étions aux sols les moissons de leurs champs.

....
Aux creux de la garrigue et sous les plus grands pins,
....
Nous guettions le jour pour voir leurs mains cagneuses…
....
Ils ramassaient partout, cherchant les précieuses,
....
Mais ne rejetaient pas chaque bons gagne pains.

....
En chacune de nous, ils avaient des égards,
....
Sous chacun de nos coins, ils caressaient nos formes
....
Avec tant de douceur que des flammes énormes
....
Vibraient sous la sueur tombant sur leurs regards.

....
Et puis ils nous rangeaient selon nos beaux atours :
....
Zèbres de filets roux ou douces veines jaunes,
....
Vertes comme l'olive et bleus des mers d'automnes,
....
Offrant à chaque mur des joyaux en pourtours.


....
Un logis était fait que d'autres commençaient :
....
Sans souci du labeur, ils montaient des villages
....
Depuis chaque maison jusqu'aux plus beaux dallages
....
Ou d'une belle église et ses toits élancés…

....
Nous ignorons pourquoi les hommes sont partis...
....
Ce fut lent mais profond, tels des lacs qui se vident,
....
Une très lente mort , des orbites livides...
....
Nuls contes plus brillants ne furent tant nantis! ".

....
Et je sais qu'elles parlent à qui sait s'émouvoir ;
....
Alors vous jurerez, disant vos amertumes :
....
Murets de mon pays, pour vous cailloux posthumes,
....
Endormez-vous en paix, je sais vous percevoir.


« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? »




© Robert Bonnefoy, le 14 août 2006