Du 21 avril 1984


La Victorieuse


A Nassira,

C'est un mirage et une fille qui condamne
Un nénuphar que l'eau trouble recèle
Fleur sauvage à l'œil qui vous épèle
Fée du naufrage pour d'infortunés profanes

Fille d'Afrique qui se défile en magie
Et fulgure sous le nez en falarique
Fille enrobée de mystère aux fouilleuses piques
Qui les dents posées sur votre noyau se blanchit

Fille de la tourmente et victime de l'histoire
Romantique travaillée de leurs tourments profonds
C'est une ruche vibrante et une sylve sans layons
Comme une sœur de l'Antinéa qui joue son exutoire

Sortie de la tourbe avec la pureté du diamant
Elle en possède la dureté pour tracer son destin
Pour trancher aussi dans les rouelles du crétin
Mais parfois d'une étrange tendresse fait don au manant

Sous les chaleurs du monde elle traîne son écharpe
Frileuse elle se l'enroule jusqu'au dernier bout
Ainsi parfois elle manque d'air et devient un ballon mou
Et sans force alors dans un vertige gémit comme une harpe

Ce long serpent de laine s'imbibe d'acides
C'est un long champ de haine transmis par héritage
Elle le cultive si bien que le temps n'y fait partage
Et qu'une grimace vous point à ce terrible sapide

Qu'on ne s'y leurre pourtant, ce tiroir à contradictions
Est un puzzle à dix mille cartons qui pleure
Pleurs d'une incompréhension qui ajourne son heure
Auxquels seul pourrait répondre un ordonné sans passion

J'ai vu un de ces délaissés qui fulmine de leur faim
La traiter de pie cynique, abusé par sa mimique
Or si faconde et collection s'attachent au véridique
L'esprit chagrin ne puise rien dans son souterrain

Nassira guette le chat, celui qui l'aurait trop perçu
Mais n'a pas trouvé le miroir à sa dimension
Et se faisant île, végète dans une fluide pension
Son âme est grande mais bien nue, mais trop défendue

Une griffure des premiers ans peut s'abîmer dans le vent
Quand main habile vient s'agiter au secours des encalminés
Victorieuse assurément, quand pour mériter ce prédestiné
L'emportera un courant d'air loin de son étang
.

© Jean-Jacques Rey, 1984